Des cerveaux de patients atteints de la maladie d’Alzheimer ont permis de transmettre la maladie dans ses aspects lésionnels et cliniques à des primates non humains

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
Alzheimer
 
En France, les démences de type Alzheimer (DTA) touchent près d’un million de personnes. Du fait d’une atteinte dégénérative et progressive des neurones cérébraux, elles se traduisent principalement par une perte de la mémoire. Les lésions des DTA se caractérisent par une accumulation dans les neurones de la protéine tau (tauopathie) avec des dépôts amyloïdes. Depuis longtemps, des similitudes avaient été suggérées entre la maladie d’Alzheimer et la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) [1,2], la principale différence étant que cette dernière était transmissible alors que l’on n’avait jamais démontré formellement la transmissibilité d’une DTA (seule la transmission de l’amylose sans l’apparition de signes cliniques avait pu être observée dans les essais de reproduction expérimentale) [3]. Cependant une publication de 2018 signale la possibilité d’une transmission interhumaine sans greffe d’un tissu d’origine cérébrale [4]. Il s’agissait de huit personnes ayant subi une neurochirurgie, le plus souvent pendant l’enfance et présentant trois décennies plus tard une angiopathie cérébrale amyloïde.

Les chercheurs du laboratoire des maladies neurodégénératives au CEA (équipe de notre confrère Marc Dhenain) démontrent pour la première fois que l’on pouvait transmettre la maladie d’Alzheimer sous ses aspects cliniques et lésionnels par inoculation de tissu cérébral provenant de patients atteints de cette maladie [5]. Ce travail a pu être réalisé sur de petits lémuriens (Microcebus murinus), ces microcèbes mesurant 12 cm, pesant 60 à 120 g et considérés comme âgés à partir de 6 ans. Douze microcèbes adultes ont été inoculés avec des extraits cérébraux de personnes décédées de la maladie d’Alzheimer et ont été surveillés pendant 18 mois. Aucune altération n’a été observée pendant les 6 premiers mois post-inoculation (mpi), démontrant que l’inoculation n’était pas immédiatement en cause. Ce n’est qu’à partir de 12 mpi que les aspects cliniques et lésionnels d’une maladie d’Alzheimer sont apparus : troubles cognitifs, modifications de l’activité neuronale démontrée par un électroencéphalogramme, atrophie cérébrale. L’accumulation de la protéine tau et des dépôts amyloïdes (surtout proches du site d’inoculation) étaient peu importants chez certains primates mais il est possible que ces lésions auraient été plus importantes si l’on avait gardé les animaux au-delà des 18 mpi. Les six microcèbes témoins inoculés avec du tissu cérébral sain d’origine humaine n’ont présenté aucun symptôme ni aucune lésion.

Il s’agit de la première démonstration de l’induction de signes cliniques associés à l’inoculation de cerveaux humains «Alzheimer», renforçant ainsi l’hypothèse d’une origine «prion» non limitée à la MCJ. Comme la MCJ, la maladie d’Alzheimer ne peut pas être considérée comme une maladie contagieuse. Cette affection pourrait être transmise dans des circonstances exceptionnelles, justifiant de recommander des précautions particulières lors d’une intervention en neurochirurgie.

D’ailleurs on a pu suspecter la transmission de lésions qui rappellent celles d’une DTA chez l’Homme dans des circonstances exceptionnelles (injections d’hormone de croissances issues de cerveaux, procédures neurochirurgicales lourdes, en général en association avec des greffes de tissus d’origine cérébrale) mais sans pouvoir le démontrer formellement. D’autres maladies neurodégénératives, comme la maladie de Parkinson ou la maladie de Huntington, pourraient aussi avoir des propriétés communes avec les prions, dont leur transmissibilité.

 

[1] Brown P. et al. Alzheimer disease and transmissible virus dementia (Creuzfeldt-Jakob disease). Annals New York Academy of Sciences, 1982, 131-143.
[2] Lefrançois Th. et al. Démences de type Alzheimer et encéphalopathies spongiformes : analogies et théories nouvelles. Médecine/Sciences, 1994,10, 1141-1143.
[3] Goudsmit J. et al. Evidence for and against the transmissibility of Alzheimer disease. Neurology, 1980,30,945-950.
[4] Jaunmuktane Z. et al. Evidence of amyloid‐β cerebral amyloid angiopathy transmission through neurosurgery. Acta Neuropathologica, 2018, 135,671–679 (https://doi.org/10.1007/s00401-018-1822-2).
[5] Gary C. et al. Encephalopathy induced by Alzheimer brain inoculation in a non-human primate. Acta Neuropathologica Communications, 2019, 7, 126 (https://doi.org/10.1186/s40478-019-0771-x)