Une zoonose émergente : l’hépatite E

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 

Le virus de l’hépatite E, de la famille des Hepeviridae, a été identifié en Inde en 1978, où il fut à l’origine d’une sévère épidémie, surtout mortelle chez les femmes enceintes et les nouveau-nés. Ce virus, alors appelé « virus de l’hépatite non A, non B », semblait surtout présent dans les pays à faible niveau d’hygiène du fait de sa transmission par la voie fécale-orale. Or, depuis le début des années 2000, ce virus est identifié de plus en plus fréquemment dans les pays industrialisés, peut-être aussi du fait d’une meilleure connaissance de cette infection et d’une amélioration dans les moyens de diagnostic.

On connaît actuellement 4 génotypes humains de ce virus (de HEV1 à HEV4). Les génotypes 1 et 2, rencontrés en Asie, en Afrique et/ou en Amérique centrale, seront responsables des cas humains importés par des voyageurs européens alors que le génotype 3 et, dans une moindre mesure, le génotype 4 touchent à la fois l’Homme et les animaux. Ces cas d’hépatite E autochtones sont zoonotiques et liés à une contamination d’origine alimentaire (consommation d’eau non potable ou d’aliments souillés). Il faut noter qu’il existe aussi une hépatite E (ou syndrome hépatite-splénomégalie) chez les volailles mais celle-ci n’est pas zoonotique. En France, c’est le foie de porc insuffisamment cuit qui est principalement incriminé (saucisses, figatelli, etc.) mais des coquillages contaminés, de la viande ou des abats de sanglier, de lapin [1] ou de cerf ont été aussi mis en cause. Ce virus peut également être transmis lors d’un contact avec ces animaux et leurs produits (vétérinaires, éleveurs, personnel d’abattoir, chasseurs, propriétaires de certains animaux réservoirs, etc.). Mais la transmission peut être aussi iatrogène (transfusion sanguine, greffe).

Ce sont surtout les personnes immunodéprimées qui seront les plus sensibles, qu’il s’agisse d’une maladie (sida, traitement anticancéreux, etc.) ou d’une immunodépression physiologique comme la gestation.

L’hépatite E peut être aiguë ou chronique, avec parfois des manifestations extra-hépatiques (neurologiques ou rénales). La forme aiguë est souvent asymptomatique (près de 70%) et elle est surtout rencontrée chez l’adulte âgé dans les pays industrialisés alors que les jeunes adultes sont plus atteints dans les pays où l’hygiène est médiocre. L’hépatite E peut être fulminante chez la femme enceinte. Chez les immunodéprimés, l’infection est le plus souvent chronique et peut conduire à une cirrhose du foie.

La menace liée à l’hépatite E est restée vraisemblablement sous-estimée en Europe mais il s’agit maintenant d’un réel problème de santé publique. En effet, dans une revue récente réunissant les résultats de 22 pays européens ayant surtout débuté la surveillance de cette maladie à partir de 2005, on peut noter l’augmentation du nombre de cas d’hépatite E d’environ 500 en 2005 à plus de 5500 en 2015 (soit 21 018 cas sur 11 ans) [2]. De même, pour 14 pays européens, le nombre d’hospitalisations rapportées pour l’hépatite E a augmenté de près de 100 en 2005 à près de 1100 en 2015. On peut remarquer que, sur les 21 018 cas rapportés, 93% (soit 19 531) ont concerné les pays ayant commencé la surveillance de l’hépatite E en 2005. Par ailleurs, seuls trois pays (la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, soit 41% de la population européenne), réunissent 80% des cas (soit 16 810). Pour les 15 525 cas d’hépatite E où les données étaient disponibles, il s’agissait surtout d’une origine autochtone (87%) alors que très peu de cas (9 à 36 par an) étaient liés à un voyage à l’étranger.

Si l’on regarde la figure 1 réunissant les cas déclarés en France de 2006 à 2016, on peut remarquer cette même augmentation avec un facteur de multiplication supérieur à 10 sur 11 ans [3].

 

Fig. 1 : Principales données épidémologiques de l’hépatite E en France
Données du Centre national de référence citées par « L’hépatite E. Fiche Anses » (mise à jour le 31/07/2017)

Ainsi, les données publiées montrent combien l’hépatite E est répandue en France comme dans les autres pays européens. Certaines espèces animales peuvent servir de réservoirs pour l’infection, préférentiellement des porcs, mais aussi le sanglier, le cerf ou le lapin [4]. La prévention de cette maladie émergente concerne les principales voies de transmission, à savoir le contact avec les animaux infectés (animaux de production, sauvages ou de compagnie) et la consommation d’aliments contaminés insuffisamment cuits. Enfin, le risque iatrogène lié à la transfusion sanguine ne doit pas être oublié [5,6].

 

[1] Abravanel F et al. Rabbit Hepatitis E Virus Infections in Humans, France. Emerging Infectious Diseases. 2017;23(7):1191-1193. doi:10.3201/eid2307.170318
[2] Aspinall EJ et al. Hepatitis E virus infection in Europe: surveillance and descriptive epidemiology of confirmed cases, 2005 to 2015. Euro Surveill. 2017;22(26):pii=30561. DOI: http://dx.doi.org/10.2807/1560-7917.ES.2017.22.26.30561.
[3] L’hépatite E. Fiche Anses (mise à jour le 31/07/2017).
[4] Pavio N et al. Possible Foodborne Transmission of Hepatitis E Virus from Domestic Pigs and Wild Boars from Corsica. Emerging Infectious Diseases. 2016;22(12):2197-2199. doi:10.3201/eid2212.160612
[5] Mansuy JM et al. Seroprevalence in blood donors reveals widespread, multi-source exposure to hepatitis E virus, southern France, October 2011. Euro Surveill. 2015;20(19):pii=21127. DOI: http://dx.doi.org/10.2807/1560-7917.ES2015.20.19.21127.
[6] Domanović D et al. Hepatitis E and blood donation safety in selected European countries: a shift to screening? Euro Surveill. 2017; 22(16):pii=30514. DOI: http://dx.doi.org/10.2807/1560-7917.ES.2017.22.16.30514.