Transmission bidirectionnelle Homme-porc du virus de la grippe saisonnière pH1N1

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 

 
En janvier 2018, un vétérinaire et le technicien qui l’accompagnait ont présenté des symptômes de type grippal peu de temps après être intervenus (72 heures et 48 heures respectivement) pour effectuer des écouvillonnages nasaux dans un élevage de 1000 truies gestantes atteintes d’un épisode aigu de grippe saisonnière classique (avec une hyperthermie, une dyspnée et une toux pendant 2 à 3 jours). Notre confère, suspectant une contamination d’origine porcine, a effectué aussi deux écouvillonnages sur lui-même, cinq à six jours après la visite. Les trois prélèvements réalisés sur les truies ainsi que les deux réalisés chez le vétérinaire ont effectivement révélé qu’il s’agissait du même virus.

Une enquête épidémiologique a permis de découvrir que le virus avait été probablement introduit dans l’élevage de truies par un employé qui, selon l’éleveur, présentait un syndrome grippal quelques jours avant l’atteinte des truies. Cet employé avait pris une douche et revêtu des vêtements de protection mais n’avait pas porté de masque et de gants. De même, le vétérinaire et le technicien ne portaient pas d’équipement de protection individuelle lors de la manipulation des truies malades.

L’intérêt de cette étude réalisée par une équipe pluridisciplinaire [1] est d’une part, d’avoir démontré une transmission bidirectionnelle d’un virus influenza H1N1 [1] et d’autre part, d’avoir identifié qu’il s’agissait du virus H1N1 de la première pandémie grippale du XXIe siècle, apparue en 2009 en Amérique du Nord (à l’époque où l’OMS annonçait que le risque pandémique serait probablement lié au virus H5N1 de la «grippe aviaire»). En 2009, ce virus grippal humain, dénommé influenza A(H1N1)pdm09 (ou pH1N1) s’est rapidement propagé aussi dans les élevages porcins, le porc et l’Homme étant sensibles aux mêmes virus influenza. On l’a ensuite retrouvé dans des grippes humaines saisonnières de même que sous une forme enzootique dans de nombreux élevages porcins.

Si l’on sait que l’exposition professionnelle aux porcs est un facteur de risque pour l’Homme [3], des cas de transmissions bidirectionnels d’un épisode grippal ont été rarement démontrés. Comme le virus pH1N1 circule depuis 2009 dans l’espèce porcine, des réassortiments peuvent se produire, représentant ainsi un risque accru pour la santé publique. Ces infections concomitantes par le virus pH1N1 rapportées dans cet article soulignent l’importance de la mise en œuvre des mesures de biosécurité ad hoc dans les exploitations porcines afin de prévenir la transmission du virus entre espèces mais aussi l’intérêt d’une vaccination annuelle contre la grippe pour les personnes travaillant dans la filière porcine. Ceci permettra, dans un contexte «une seule santé» de limiter le risque d’une transmission du virus pH1N1 du porc vers l’Homme et réciproquement de l’Homme vers le porc.

 

[1] Une équipe de l’Anses (Agence française pour l’alimentation, l’environnement et le travail, et la sécurité au travail) de Ploufragan, en collaboration avec l’Institut Pasteur, Denis Peroz (vétérinaire à Ancenis) et la «Plateforme épidémiosurveillance santé animale» de Lyon (E. Garin).
[2] Chastagner A. et al. Bidirectional Human–Swine Transmission of Seasonal Influenza A(H1N1)pdm09 Virus in Pig Herd, France, 2018. Emerging infectious diseases. 2019, 25 n°10, 1940-1943 (DOI: 10.3201/eid2510.190068).
[3] Ce risque de zoonose n’est pas limité au virus influenza comme le montre une étude récente de Taus et al. (Zoonoses and Public Health, 2019, https://doi.org/10.1111/zph.12633 : la séroprévalence d’une atteinte par le virus de l’hépatite E ou par Ascaris Suum chez les vétérinaires porcins autrichiens est multipliée par 1,5 ou 1,9 respectivement, ce facteur de risque disparaissant lors du port de gants. En revanche, la colonisation des cavités nasales par des Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (SARM) reste multipliée par 4,8.