Regards de femmes sur la science, l’innovation et l’industrie

Martine Courtois* et Denis Monod-Broca**


* Professeure agrégée honoraire du Conservatoire national des arts et métiers
** Ingénieur et architecte, secrétaire général de l’AFAS
 

De gauche à droite : Claudine Hermann, Claudie Haigneré, Christel Heydemann

C. Hermann, C. Haigneré, C. Herdemann (Colloque "Regards de femmes sur la science, l’innovation et l’industrie", 25 mars 2019)
 
Ce colloque s’est déroulé le lundi 25 mars 2019 après-midi à l’Hôtel de l’Industrie, dans le cadre de la 9e édition de la Semaine de l’industrie.
Organisé par la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, l’association Femmes & Sciences, l’association Chercheurs Toujours et l’AFAS, il a été introduit par Evelyne Sevin, vice-présidente de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, qui a rappelé que cette association, fondée en 1801, reconnue d’utilité publique, a pour but d’encourager, de transmettre, de valoriser et de conserver la mémoire des activités industrielles.
Trois tables rondes se sont succédé devant un public nombreux (plus de 150 personnes) dans la salle Lumière, salle historique où les travaux des frères Lumière ont été présentés en 1895.

Colloque "Regards de femmes sur la science, l'innovation et l'industrie" (25 mars 2019)

Regards croisés de Claudine Hermann, Claudie Haigneré, Christel Heydemann

 
Les trois participantes de cette table ronde (vidéo), Claudine Hermann, Claudie Haigneré et Christel Heydemann, ont croisé leurs regards sur les thèmes de la science, de l’innovation et de l’industrie.

Claudine Hermann, enseignante-chercheuse et première femme à avoir été nommée professeure à l’Ecole polytechnique en 1992, insiste sur la nécessité de donner la voix aux femmes dans les sciences.
Claudie Haigneré, médecin rhumatologue, spationaute, ancienne ministre, ancienne présidente d’Universcience, souligne l’importance de donner l’envie des sciences.
Pour Christel Heydemann, présidente-directrice générale de Schneider Electric France, à la tête de 30 usines actuellement en France, dont celle de Normandie labellisée Industrie du futur, la vraie révolution de l’industrie est la technologie au service de l’innovation.

Après s’être présentées, elles ont débattu sur l’innovation pédagogique, l’innovation dans l’entreprise et l’innovation grâce à la recherche.
Quelques phrases relevées lors de cet échange : «Il est important de laisser entrer l’innovation à l’école» ; «La vraie révolution dans l’entreprise est celle liée à la transition numérique» ; «Les entreprises doivent expliquer leur raison d’être».
Les trois intervenantes insistent sur la place trop faible des femmes dans les entreprises, au niveau des scientifiques comme des managers, mais aussi dans les start-ups. Elles soulignent la nécessité pour les femmes de prendre conscience de leur valeur et de gagner en confiance.

Science, éthique et société – Le mouvement éthique : pourquoi maintenant?

 
Quatre participants à cette table ronde (vidéo), animée par Christine Kerdellant, directrice de la rédaction de L’Usine nouvelle, IT et L’Usine digitale :

Céline Calvez, députée des Hauts-de-Seine
Marie-Françoise Chevallier-Le Guyader, ancienne directrice de l’IHEST
Cecilia Papini, doctorante en chimie des processus biologiques au Collège de France
Patrice Debré, président de l’AFAS

 
M.-F. Chevallier-Le Guyader fait remarquer que, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, nous sommes passés de l’éthique à la bio-éthique. La réflexion en la matière doit avoir lieu en permanence : «Nous avons besoin de recul, de sens commun», dit-elle.

L’Histoire, comme le rappelle P. Debré, éclaire le présent. Les expériences conduites pendant la seconde guerre mondiale notamment nécessitent qu’aujourd’hui les scientifiques soient des experts capables de réfléchir aux conséquences de leurs recherches. «Jusque récemment, certaines expérimentations sur l’homme se sont faites dans des conditions honteuses». Toute expérience doit s’accompagner de réflexion éthique et prospective sur ses conséquences. Les repères suivants ont été rappelés : procès de Nuremberg, notion de consentement éclairé dans l’expérimentation humaine, allocution de François Mitterrand pour l’installation du Comité consultatif national d’éthique en 1983 («La science d’aujourd’hui prend souvent l’homme de vitesse»).
Cela souligne qu’il faut expliquer et partager les connaissances. La réflexion éthique doit se nourrir également de savoirs. Le raisonnement scientifique est une condition du dialogue entre chercheurs et société. «Sinon la connaissance et la société avanceront séparément l’une de l’autre».

Pour C. Papini, les chercheurs ont le devoir de parler à la société. Et la société a le droit d’interroger les chercheurs.

C. Calvez s’interroge : «Comment répandre l’esprit scientifique ? comment atteindre le juste et le vrai ?». Elle fait part du rapport déposé à l’Assemblée nationale, composé de 23 recommandations pour améliorer la place des femmes dans le monde scientifique en France [1].
Quel sera l’apport de la réforme du baccalauréat avec l’ouverture à la pluridisciplinarité ? Apportera-t-elle des moyens pour que la culture scientifique diffuse parmi les non-scientifiques ?
Et d’ailleurs pourquoi, dans les boutiques du Palais de la découverte ou de la Cité des Sciences, les microscopes sont-ils présentés comme étant pour les garçons et les crayons de couleur pour les filles ? …

P. Debré donne l’exemple du cœur de poisson, capable de se régénérer, à la différence du cœur des mammifères, et dont on pourrait faire profiter, par modification génétique idoine, un cœur d’homme, et il demande : «Jusqu’où aller ?». La réponse éthique est d’en rester à «guérir, éviter la souffrance». La réflexion et le partage des connaissances sont plus rapides et plus efficaces que la loi.

C. Calvez : «L’esprit scientifique est une condition de l’éthique.»
C. Kerdellant : «La prudence de l’Europe ne l’handicape-t-elle pas ?»
P. Debré : «Sachons développer la diplomatie éthique.»
M.-F. Chevallier-Le Guyader : «La réflexion éthique nous donne au contraire un avantage.»
C. Calvez : «N’oublions pas les vertus du doute !»
P. Debré : «La vérité scientifique existe-t-elle ?»

Science, applications et industrie – L’innovation en réponse aux défis économiques et sociaux?

 
Cinq participants à cette dernière table ronde (vidéo), animée par Dominique Leglu, directrice de la rédaction de Sciences et Avenir et de La Recherche :

Catherine Ronge, lauréate Montgolfier 2008, fondatrice de Weaver Air
Sophie d’Ambrosio, lauréate de la bourse L’Oréal-Unesco 2018
Julie Rouzaud, Deeptech Program Manager de l’incubateur Willa
Christelle Chapteuil, directrice générale des laboratoires Juvasanté (Groupe Urgo)
Sylvain Maillard, lauréat Montgolfier 2016 et député de Paris

 
Chaque intervenant décline sa perception de ce dernier thème. On note dans les échanges les phrases suivantes : «Pour avoir un impact positif, il faut innover» ; «Il faut innover, mais il faut le bon moment, le bon contexte, pour réussir cette innovation» ; «Il faut innover en France et fabriquer en France» ; «Il faut des entreprises pour que la technologie reste en Europe».
On note également quelques exemples d’innovations, issues des usages : le pansement intelligent, la facilitation des transports pour réduire les trajets dits en Z, le programme aidé de drones capables de surveiller les feux de forêt et d’aider les pompiers dans leur lutte.
Sylvain Maillard rappelle que la mode a été de supprimer les usines en France et qu’heureusement on en revient, le développement de l’industrie étant la base de tout.
Question : quel est le taux de réussite des innovations ? Chez Nestlé, on compte, paraît-il, sur un taux de 1 sur 250. Chez Urgo, selon Christelle Chapteuil, il est de 1 sur 10.

Il y a urgence, n’avons-nous pas trop peur ?

Conclusion de M.-F. Chevallier-Le Guyader : «On ne perd jamais de temps à réfléchir.»

Cet après-midi se termine par un message vidéo d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des Finances, enregistré à l’attention des participants à ce colloque, avant le mot de la fin d’Evelyne Sevin.