Réaliste. Soyons logiques autant qu’écologiques

Bertrand Piccard

(Pocket, 2023, 208 p. 7,70€)

 
Réaliste (B. Piccard, Pocket, 2023)On ne présente plus Bertrand Piccard, qui a réalisé deux premières aéronautiques : le tour du monde en ballon sans escale (1999) et le tour monde en avion solaire avec escales (2016). Son grand-père, Auguste, explora la stratosphère. Son père, Jacques, parcourut les abysses ; il dénonça, avec le Club de Rome, la chimère d’une croissance mondiale sans limite (1972). Bertrand a hérité de la fibre écologique de ses parents. Le titre de son livre, publié il y a deux ans et réédité aujourd’hui en poche, résume bien son credo environnementaliste : Réaliste. Soyons logiques autant qu’écologiques.

Les scientifiques nous alertent depuis les années quatre-vingt sur le changement climatique, mais aussi sur la pollution de l’air, de l’eau, des sols, des aliments. L’auteur n’est pas tendre pour ceux qui ne veulent pas entendre : «Aujourd’hui, l’ignorance s’apparente plutôt à de la bêtise».
Bertrand Piccard est favorable à la décroissance, mais il sait que la population n’adhèrera pas à un tel objectif : les citoyens privilégient un modèle économique qui assure leur confort et les plus démunis veulent améliorer leur niveau de vie : «Cela a-t-il du sens de parler de fin du monde à ceux qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois?».

D’où le choix par Piccard d’une «croissance qualitative» qui protège l’environnement tout en étant financièrement rentable et créatrice d’emplois. Il veut réconcilier écologie et économie. Exemple : le producteur d’électricité Engie investit chez ses clients pour réduire leur consommation et partage avec eux les gains réalisés. Autre exemple : Procter & Gamble invente une poudre de lessive pour laver à froid. La fondation Solar Impulse de Bertrand Piccard a ainsi identifié et certifié 1500 solutions rentables et innovantes pour améliorer l’environnement dans les domaines de l’eau, l’énergie, la mobilité, les constructions, l’industrie, l’agriculture. Elles sont toutes décrites sur le site www.solarimpulse.com, impressionnant catalogue qui montre la vitalité des acteurs du domaine et l’extrême diversité des solutions. L’auteur se livre à quelques exercices de prospective et nous décrit la situation dans chaque domaine où ces solutions seront implémentées.

Piccard pourfend les écologistes intégristes qui refusent tout compromis. «Le fanatisme de certains amoureux de la Nature ralentit autant la protection de l’environnement que l’égoïsme des nouveaux libéraux», écrit-il. Et il déclare à un intégriste vert : «Vous essayez d’arriver à tout avec le grand risque de n’arriver à rien. Moi, j’essaie peut-être de n’atteindre que la moitié, mais je pense y parvenir». Tout le pragmatisme de Piccard est résumé là.

Pour sortir de la paralysie actuelle et mobiliser la population, il faut parler plus de pollution et pas seulement de réchauffement climatique. La pollution de l’air par les particules, de l’eau, du sol et des aliments par les engrais et les pesticides tue neuf millions de personnes par an dans le monde. Ce n’est pas la planète qu’il faut sauver, c’est nous! Voilà une cause plus mobilisatrice que le climat. «Qui sera d’accord pour renoncer maintenant à sa voiture afin d’éviter que le pôle Sud fonde d’ici trente ans?», demande l’auteur. Heureuse coïncidence : pour purifier l’air, on doit réduire les énergies fossiles et donc les émissions de CO2 et donc le réchauffement climatique!

Le rôle des Etats est primordial. Les normes environnementales doivent être durcies. L’auteur rappelle l’épisode des pots catalytiques imposés avec succès par l’Etat, en dépit des fortes pressions de l’industrie automobile, pour le plus grand bien de nos poumons.
Le CO2 doit être taxé pour tenir compte de son effet néfaste sur le climat mais le montant total des taxes ainsi perçues doit être redistribué également parmi tous les citoyens. Un système qui rend la mesure acceptable et récompense la sobriété carbone.

Dans son enthousiasme, l’auteur oublie parfois d’exposer les inconvénients de ses solutions. Ainsi, le scénario 100% renouvelable en 2050, qu’il préconise pour la production d’électricité, entraîne des «paris technologiques lourds» selon le RTE [1]. De même, l’acceptation par les riverains des grands parcs éoliens et solaires ainsi que des bassins de stockage hydraulique est loin d’être acquise.
On peut aussi regretter que l’auteur n’aborde pas le sujet de la surpopulation, une variable essentielle dans l’équation environnementale, de son propre avis.

Malgré ces quelques réserves, il reste que ce livre est rafraîchissant : son approche pragmatique, respectueuse de l’individu, originale, optimiste, tournée vers l’action concrète est une bouffée d’oxygène dans le monde de l’écologie.
 

[1] RTE : Réseau de transport d’électricité : Futurs énergétiques 2050 (octobre 2021).