Ordres de grandeur et méthode de Fermi

Alexandre Jeanneau

(Ellipses, 2020, 240 p. 23€)

 
Ordres de grandeur et méthode de Fermi (A. Jeanneau, Ellipses)Déjà le titre demande une explication, donnée au début du livre : le pionnier de la physique nucléaire Enrico Fermi a un jour demandé à ses élèves d’estimer le nombre d’accordeurs de piano à New York et il avait fait une évaluation à partir du nombre de familles, de la proportion possédant un piano et du travail que cela peut donner à un accordeur et il était tombé juste, à un facteur 2 près. En nos temps de suspicion, on aurait tendance à dire que Fermi avait compté les accordeurs dans l’annuaire avant de poser la question.

Toujours est-il que le livre explique comment on peut estimer des ordres de grandeur en analysant les facteurs qui les conditionnent. L’auteur donne des exemples nombreux et variés et, bien obligé, il explique ce que sont les puissances de dix et les unités de la physique. Exercice délicat qui interroge sur le public visé : probablement des professeurs cherchant à provoquer une interaction et des discussions avec leurs élèves. Une bonne chose sûrement.

Quelques exemples choisis :
1) Le nombre de participants à une manifestation politique ou sportive (marathon) à partir de l’aire occupée.
2) Le travail de Stanley Milgram : peut-on relier deux personnes quelconques par une suite de liens de personne à personne ? Le nombre moyen est étonnamment court : 5 ou 6.
3) Estimer la déviation d’un projectile vers l’est suite aux forces de Coriolis, sans écrire les équations.

Quelques bons morceaux :
1) Le prix d’une vie payé par les assurances après un crash d’avion par exemple.
2) L’énergie libérée par l’explosion du site AZF en 2001 à partir des bris de vitres.

Plus contestables :
1) Estimation du rayon de la Terre en regardant le coucher du soleil couché puis debout : l’auteur a confondu le rayon de la Terre et le rayon du parallèle de la mesure et, de toutes façons, faire de la triangulation de la Terre avec une base de 1,50 m, c’est un peu audacieux !
2) L’équation de Drake estimant le nombre de civilisations extra-terrestres à cet instant. On arrive à 10, on aurait pu dire 0 ou 100 000 ! Quant à entrer en contact…
3) Le rayon d’une ligne de TGV à partir de l’accélération latérale acceptable par les voyageurs : on oublie un peu vite les conditions de stabilité sur les rails (voir l’accident d’Eckwersheim en 2015).

La grande vertu de cette méthode d’estimation est qu’elle force à s’interroger sur les mécanismes des phénomènes, comme la respiration, la circulation cardiaque, etc.

L’auteur explique aussi la notion de facteur d’échelle chère à Galilée expliquant pourquoi une puce saute aussi haut qu’un homme sans élan, c’est une notion importante qui rassure sur l’arrivée d’un King Kong.

On aurait pu craindre que la recommandation serait qu’on n’a pas besoin de connaître les grandeurs et qu’on peut les estimer selon besoins. Heureusement, l’auteur liste en annexe quelques grandeurs typiques, qui vont d’un rayon atomique à la puissance d’une centrale nucléaire. On aurait pu ajouter quelques grandeurs économiques : PIB annuel de la France, salaire médian, espérance de vie, etc.
Mais on ne peut tout explorer.

Bref, un livre intéressant qui amène à être prudent quand les médias affirment des choses dans le registre «yaka faucon»…