Météorologie de l’espace. Vivre demain avec notre Soleil

Jean Lilensten, Marina Gruet, Frédéric Pitout, Joao Pedro Cadhile Marques

(De Boeck Supérieur, 2021, 240 p. 25€)

 
Météorologie de l'espace (J. Lilensten, De Boeck Supérieur)28 août 1859 – Des phénomènes stupéfiants se produisent sur l’ensemble du globe : des aurores boréales apparaissent à Cuba, Mexico, Hawaï ; les relais du télégraphe morse américain s’enflamment ; les boussoles s’affolent ; un éclair fulgurant jaillit du Soleil.
4 août 1972 – Des dizaines de mines marines explosent spontanément au Vietnam ; les réseaux électriques et de télécommunications américains sont perturbés ; on observe des aurores boréales en Espagne.
13 mars 1989 – Le réseau électrique du Québec s’effondre, privant d’électricité cinq millions de personnes durant neuf heures.

Ces évènements ont été provoqués par une activité violente et imprévisible du Soleil. Dans le monde hyperconnecté d’aujourd’hui, ces «sursauts» solaires sont un véritable risque planétaire, que l’OCDE estime à égalité avec… les pandémies ! (2011).

Pour tenter de comprendre et de prédire ces caprices solaires, une nouvelle discipline scientifique a été inventée, la météorologie de l’espace, dont ce livre constitue une introduction.

Les quatre auteurs, tous acteurs de la discipline, nous présentent la physique du Soleil, du magnétisme terrestre et des aurores boréales. Quelques grandes lignes :

  • Le Soleil produit son énergie par fusion nucléaire et l’irradie dans l’espace pour notre plus grand bien. Mais il se pare également de taches périodiques, émet un «vent solaire» continu de particules électriquement chargées (électrons, ions) à 370 km/s, et peut, lors de sursauts, expédier ses particules à 10 000 km/s !
  • La Terre est protégée de ces vents solaires dangereux par sa «magnétosphère» qui l’enveloppe de son champ magnétique sur 60 000 km. Plus près de nous, à une altitude de 50 à 600 km, l’ionosphère contient de l’atmosphère raréfiée et des couches d’électrons qui réfléchissent les ondes électromagnétiques.
  • Dans certaines conditions, des particules du vent solaire réussissent à traverser le bouclier de la magnétosphère et excitent les atomes de l’ionosphère (oxygène, azote), lesquels se «désexcitent» en émettant des rayonnements lumineux. Ce sont les aurores boréales, aux multiples couleurs et de formes souvent mouvantes (draperies, rideaux, arcs).
  • En cas de sursaut violent, la magnétosphère se comprime, entraînant des variations fortes du magnétisme terrestre, les «orages magnétiques».

L’ensemble de ces mécanismes s’avère d’une «étourdissante complexité» et garde son lot de mystères. Les auteurs racontent les étapes qui ont permis d’en arriver là depuis cinq siècles : une histoire passionnante avec ses héros, leurs traits de génie ou leurs erreurs.
Citons-en trois épisodes :

  • Le grand physicien anglais Lord Kelvin se fourvoie à deux reprises à propos du Soleil : il attribue l’énergie solaire aux météorites (1890) et réfute tout lien entre éruption solaire et orage magnétique (1892).
  • L’inventeur italien Marconi réalise la première liaison transatlantique radio en 1901, ce qui lui vaut le prix Nobel en 1909. Les auteurs démontrent que cette liaison était impossible à la fréquence radio utilisée et doutent de l’authenticité de l’exploit, d’ailleurs réalisé sans témoin.
  • Le Norvégien Kristian Birkeland, ancien étudiant d’Henri Poincaré en France, est le premier à expliquer les aurores boréales, qu’il reproduit en laboratoire (1896). Ce chercheur génial sera pourtant incompris, raillé et ridiculisé, et il se suicide en 1917.

Les auteurs décrivent les moyens d’observation peu à peu mis en place, comme ce radar à Porto Rico muni d’une antenne de 305 m de diamètre, les sondes spatiales (Luna, Mariner) et le prolifique satellite SoHO offrant ses somptueuses images d’éruptions solaires.

Les impacts potentiels des sursauts du Soleil sur l’activité humaine sont analysés : destructions de satellites, erreurs des mesures GPS, perte du contrôle aérien, irradiations des pilotes et spationautes, effondrements des réseaux électriques et de télécommunications. S’il avait lieu aujourd’hui, le fameux évènement de 1859 entraînerait des dégâts estimés à 2000 milliards de dollars !
Au passage, les auteurs tordent le cou à la thèse des climatosceptiques qui expliquent les variations du climat par les caprices du Soleil : ceux-ci n’atteignent pas 0,1% de l’énergie irradiée !

Un chapitre est consacré aux techniques modernes de recherche : modélisation et intelligence artificielle. Nombre de pays possèdent leur centre opérationnel de météorologie spatiale, placé souvent sous tutelle de l’armée. C’est le cas en France.

Ce petit livre, illustré de photos, fourmille d’informations. Il est accessible à un public non spécialisé. Les passages plus ardus sont indiqués et peuvent être ignorés. Alors que les ouvrages sur l’Univers abondent, ceux qui explorent notre voisinage immédiat, si l’on ose dire, sont plus rares et méritent notre attention. Après tout, nous sommes appelés à côtoyer notre cher Soleil encore quelques milliards d’années.