Matière à contredire. Essai de philo-physique

Etienne Klein

(Editions de l’Observatoire, 2018, 156 p. 17€)

 
Matière à contredire (E. Klein, Ed. de l'Observatoire, 2018)Comme l’indique le sous-titre mieux que le titre, c’est aux confins de la physique et de la philosophie qu’Etienne Klein nous emmène, dans un de ces petits voyages dont il est coutumier (40 livres publiés).
La science est fille de la philosophie. Les notions de preuve et de démonstration ont d’abord été élaborées en philosophie avant de devenir l’apanage de la science. Au cours des quatre derniers siècles, la science s’est certes peu à peu émancipée de la « gadoue métaphysique ». Mais elle a dû aussi se développer en opposition au sens commun : la loi de la chute des corps, l’héliocentrisme, le principe d’inertie, la relativité, la mécanique quantique, toutes ces avancées supposent une démarche préalable de rejet des croyances existantes. « La science de la matière peut devenir elle-même matière… à contredire », nous dit Klein, dans un de ces jeux de mots qu’il affectionne. Et c’est ici que la philosophie peut revenir à la rescousse : Einstein reconnut que, sans la lecture des grands penseurs, il n’aurait pas eu la force intellectuelle de contester la conception classique du temps pour bâtir sa théorie de la relativité. «Penser, c’est dire non.» (Alain)

Klein compare physique et philosophie à « deux fort belles femmes amoureuses du même homme, et ayant, pour cette raison, une fois les réticences surmontées, bien des choses à se dire ». Et l’auteur de consacrer un chapitre à chacun des cinq grands concepts où ces deux amoureuses ont de quoi échanger : le temps, le vide, la causalité, la masse et le réel.
Klein décortique, à sa façon, chacun de ces concepts, en fait une analyse historique, des deux points de vue philosophique et physique, en insistant toutefois sur les acquis de la physique actuelle. Il montre les ambiguïtés que le mot recouvre, les contradictions, les paradoxes, les impasses. Il pose des énigmes, soulève des problèmes apparemment insolubles. Il esquisse des évolutions possibles, parfois surprenantes. Il convoque Parménide, Démocrite, Platon, Aristote, Saint Augustin, Leibniz, Hume, Spinoza, Pascal, Kant, Bergson, Wittgenstein, mais aussi Fitzgerald, Proust, Valéry, Nabokov, Dylan, et, enfin, les grands physiciens Galilée, Newton, Einstein, Bohr, Schrödinger, Heisenberg, Pauli, Dirac, Higgs…
Klein a le souci de bien faire comprendre les concepts même les plus ardus de la physique moderne, en faisant appel à des analogies ; ainsi, il utilise la métaphore des échanges de balles entre deux barques sur un lac pour expliquer le rôle des bosons de jauges des interactions ; ou bien celle du fartage de skis pour expliquer le concept de masse de particule.

Il sait aussi trouver la formule ou l’image qui frappe ou fait sourire :
«Dessiner d’un trait fléché l’axe du temps, ainsi que nous avons pris à l’école l’habitude de le faire sous la plupart de nos graphiques ou courbes, devient un geste quasi monstrueux. »
« En clair, pour faire le vide, il faut tout enlever, absolument tout, sauf le vide… »
« Il y eut les Métamorphoses d’Ovide. Voici venues celles du vide. »
« La causalité est une histoire de vertige surmonté ; car traiter des causes nous amène à traiter de l’infini. »
« Si l’on remplaçait la Terre par une cacahuète, celle-ci décrirait exactement la même orbite que notre planète autour du Soleil. »
« La masse d’un corps doit davantage à la danse frénétique des particules qu’il contient qu’aux masses propres de celles-ci… »
« Certains pensent que lorsque nous disposerons de suffisamment de données, les nombres parleront d’eux-mêmes et les corrélations qu’ils dévoileront remplaceront les relations de causalité que manifestent les lois théoriques. La science changerait alors de visage… » (Allusion au big data).

Chaque lecteur trouvera dans ce livre une part de nouveautés, et évidemment une part d’informations connues, mais présentées de façon originale. Le récit d’Etienne Klein est vivant, alerte, amusant, quelquefois provocateur, truffé d’anecdotes et de quelques calembours. On referme ce livre, encore un peu étourdi, mais avec l’impression d’être un peu plus intelligent qu’avant. Tout sauf ennuyeux, ce livre !