Les gants jetables : une pollution diffuse et complexe

Alain Delacroix

Professeur honoraire, chaire « Chimie industrielle – Génie des procédés » du Conservatoire national des arts et métiers
 
gants jetables

Les gants jetables sont nécessaires en milieu professionnel, comme le milieu médical, les laboratoires et l’industrie, mais ont aussi un usage domestique important. Ils sont particulièrement utilisés en ce moment du fait de la pandémie et leur grand nombre commence à poser des problèmes de pollution – tout comme les masques –, car ils ne sont, pour la plupart, pas biodégradables. Ils sont fabriqués avec des polymères très différents sur le plan chimique et leur élimination peut poser problème car certains peuvent rejeter de l’acide cyanhydrique ou de l’acide chlorhydrique lors de leur combustion. Cela n’est pas gênant pour les incinérateurs modernes… à la condition que les gants arrivent jusqu’à eux.

Soit comme dispositif médical, soit comme équipement de protection individuelle (EPI), les gants pour les métiers de la santé doivent protéger le patient mais aussi le personnel soignant. Ceux utilisés dans l’industrie doivent correspondre aux différents dangers d’origine physique, chimique ou biologique. Comme pour les masques, on distingue les gants médicaux et les gants de protection pour les autres usages. Le cadre réglementaire et normatif qui les concernent n’est pas le même. Les gants médicaux sont des dispositifs médicaux qui dépendent du règlement européen 2017/745 du 7 avril 2017 et applicable à partir du 26 mai 2020, et les gants de protection sont des EPI qui relèvent du reglement européen 2016/425 du 9 mars 2016, qui s’applique depuis le 21 avril 2018. A ce cadre juridique s’ajoutent plusieurs normes ou parties de norme (exemple pour la EN 374) qui dépendent de la famille de risque. On distingue les risques biologiques (norme EN 374-1, 2, 4), les risques chimiques (norme EN 374-1, 2, 4), la protection contre les rayonnements ionisants et les produits radioactifs (norme EN 421), les risques mécaniques (norme EN 388) et les risques thermiques (norme EN 407). Mais il existe aussi des règles spécifiques pour les produits, dont les gants, en contact avec les aliments (CE 1935/2004), plus précisément pour le vinyle (UE 10/2011) et pour le latex et le nitrile en France (arrêté du 9 novembre 1994).

La majorité des gants jetables sont en latex, en nitrile ou en vinyle, ce qui correspond à deux grands types de produits sur le plan chimique : les caoutchoucs naturels ou synthétiques et les polymères thermoplastiques. Dans tous les cas, ils contiennent des molécules susceptibles de provoquer des allergies : plastifiants, accélérateurs de vulcanisation, antioxydants, colorants… et protéines dans le cas du caoutchouc naturel.

Gants en caoutchouc

Les caoutchoucs ou élastomères peuvent être composés, entre autres, de latex naturel ou artificiel, de nitrile, de chloroprène, de SBR…

Gants en latex

Les caoutchoucs ou «latex» naturels ou artificiels sont à base de polyisoprène. Ils sont obtenus à partir du latex naturel provenant de l’hévéa ou de l’isoprène produit à partir du craquage de naphta. Le monomère, l’isoprène, est une molécule présente dans la nature car rejetée par les arbres dans l’atmosphère. Il est soupçonné d’être cancérogène pour l’homme. On produit dans le monde largement plus de dix millions de tonnes de caoutchouc naturel et quinze millions de tonnes de caoutchouc artificiel. Peu recyclables, on les retrouve dans les revêtements de sol, les bitumes, ou comme combustible dans les cimenteries. Outre les gants chirurgicaux et autres, le caoutchouc sert en grande majorité à produire des pneumatiques.
Les gants en latex sont les plus confortables et élastiques, permettant bonne préhension et dextérité, mais ils résistent peu aux produits chimiques. Ils ne contiennent pas de plastifiants mais pour les naturels, ils comportent des protéines de latex allergisantes.

Gants en nitrile

Les gants en nitrile sont réalisés en copolymère butadiène-acrylonitrile (appelé en anglais NBR, Nitrile Butadiene Rubber). Ce copolymère donne des élastomères possédant un grand nombre d’usages : gants nitrile pour la médecine et la chimie, gainage de câbles, tuyaux, courroies, cuir synthétique…
Les deux monomères à l’origine de ce copolymère sont de grands produits industriels. Le butadiène est produit par craquage, entre autres, d’essence légère mais aussi possiblement à partir de biomasse par l’intermédiaire du tétrahydrofurane. Il est impliqué dans la fabrication de caoutchouc synthétique, de vernis, peintures et est un intermédiaire de la production du nylon. Sur le plan de la sécurité, outre son inflammabilité, il peut provoquer le cancer et des anomalies génétiques.
L’acrylonitrile est produit par ammoxydation du propène. On fait réagir ce dernier avec de l’ammoniac et de l’oxygène à température élevée avec des catalyseurs à base d’antimoine et d’uranium. La synthèse produit comme impureté de l’acide cyanhydrique. L’acrylonitrile est très toxique et il lui correspond de nombreuses phrases de risques : H301, 311, 315, 317, 318, 331, 350 (peut provoquer le cancer), 411. Sa combustion ainsi que celle de ses polymères peut conduire à de l’acide cyanhydrique. L’acrylonitrile a de nombreuses applications :

  • le NBR, vu plus haut ;
  • les fibres acryliques : le polyacrylonitrile peut être mélangé avec la laine, le coton ou la soie ;
  • le copolymère styrène-acrylonitrile (SAN) permet de faire des emballages alimentaires, pharmaceutiques, cosmétiques, des pièces pour l’automobile, des boîtiers pour l’électronique, les batteries ;
  • le copolymère acrylonitrile-butadiène-styrène (ABS) pour les produits solides, rigides, légers, moulables. Ce sont les matériaux de l’électroménager, des Lego®, ou d’objets plus gros : voitures (Méhari), petites embarcations, voitures sans permis…

Les gants en nitrile ne sont pas aussi confortables que ceux en latex. Ils sont moins élastiques mais résistent mieux aux produits chimiques. Ils sont utiles pour ceux qui ont des allergies aux protéines du latex naturel.

Gants en chloroprène

On peut obtenir un autre type de caoutchouc en remplaçant le groupement méthyle de l’isoprène par du chlore. Le monomère correspondant, le chloroprène, est fabriqué à partir du butadiène et du chlore avec comme intermédiaire le 3,4-dichloro-1-butène. Sa polymérisation donne le polychloroprène, popularisé sous le nom de Néoprène par la société DuPont de Nemours. Ce polymère résiste bien aux hydrocarbures et à l’eau de mer. On produit donc des gants, des joints et des combinaisons pour le surf et la plongée. Le monomère est toxique et il lui correspond de nombreuses phrases de risques, dont H350 (peut provoquer le cancer). Le polychloroprène ne représente que quelques pourcent de l’ensemble des caoutchoucs naturels.

Gants en polymères thermoplastiques

On peut produire des gants avec des polymères thermoplastiques, dont le polychlorure de vinyle ou vinyle, ou en polyéthylène.

Gants en vinyle

Le polychlorure de vinyle (PVC) est un produit fabriqué en quantités énormes dans le monde (plusieurs millions de tonnes) à partir du chlorure de vinyle. Celui-ci est produit à partir de la chloration de l’éthylène avec comme intermédiaire du dichloroéthane. Le monomère a une toxicité aiguë faible mais est très toxique de façon chronique et peut provoquer le cancer. Sa libération à partir du polymère est très contrôlée. La polymérisation radicalaire est effectuée le plus souvent en suspension et conduit à un très grand nombre de produits :

  • tuyaux, fenêtres, volets, revêtements muraux ;
  • matériels hospitaliers, poches de sang, alèses, gants ;
  • articles de bureaux, papeterie, jouets ;
  • électricité : câbles, gaines, boîtiers ;
  • automobile : garnitures intérieures, tableaux de bord ;
  • textiles, similicuir, chaussures, bottes.

Les gants en vinyle sont moins élastiques et confortables que ceux en latex, se détériorent plus vite et ne sont pas utilisables pour le risque chimique. En revanche, ils sont utiles pour les personnes souffrant d’allergies au latex. Ils contiennent des plastifiants et, de ce fait, ne sont pas recommandés pour la manipulation des viandes, des graisses et des poissons car les plastifiants sont solubles dans les graisses.

Gants en polyéthylène

Enfin, il existe des gants jetables en polyéthylène qui sont très utilisés pour leur résistance à la déchirure et à l’abrasion. Ils ne sont pas aussi élastiques que les gants en latex et sont réservés, en milieu médical, aux petits nettoyages et aux usages courants.
L’éthylène est fabriqué par vapocraquage, entre autres de naphta, et a l’avantage de ne pas être toxique. C’est d’ailleurs une hormone de mûrissement des fruits. Le polyéthylène haute densité est obtenu par polymérisation de l’éthylène avec des catalyseurs Ziegler-Natta, qui lui confère des propriétés d’un corps semi-cristallin. On l’utilise pour fabriquer des caisses, des bateaux, des bidons et bouteilles pour les détergents, huile, lait, des tubes et des géomembranes. Le polyéthylène haute densité est recyclable et plus ou moins biodégradable.

 
La diversité chimique des constituants des gants permet de se protéger contre l’ensemble des dangers rencontrés mais ne facilite pas leur recyclage ou leur élimination. C’est une pollution potentielle à la fois diffuse et concentrée. Dans les hôpitaux ou l’industrie agroalimentaire par exemple, on peut les trier et les collecter. Dans ce cas, on peut les nettoyer et les réutiliser en les transformant en mobilier, poubelles, arrosoirs, ou les incinérer. En revanche, dans les petites entreprises ou pour les particuliers, ils sont très dispersés et leur recyclage est difficile. Le traitement par incinération est alors convenable. Il faut noter que des milliards de gants sont utilisés annuellement en France, ce qui représente des dizaines de milliers de tonnes de déchets.