André Maeder
(EDP Sciences, 2023, 190 p. 19€)
Au départ, il y a la question qui tue, celle que posa le docteur Richard Bentley à Isaac Newton en 1692 : «Puisque les masses de l’Univers s’attirent entre elles, pourquoi ne se sont-elles pas rassemblées en une seule masse ?». Cette énigme, qui a traversé les siècles, est le fil conducteur choisi par l’astrophysicien genevois André Maeder pour écrire l’histoire de la cosmologie depuis Newton.
Durant la peste de 1665, Newton, exilé à la campagne, a l’intuition de l’attraction universelle : la Lune qui tourne et la pomme qui tombe obéissent à la même loi. Vingt ans plus tard, il publie Les Principia (1687), un chef d’œuvre absolu.
Les quatre lettres de Newton à Bentley sont peu connues et leur analyse détaillée par Maeder constitue la partie la plus originale de son livre. Newton se révèle un remarquable cosmologue : il suppose un espace infini et explique brillamment le mécanisme de la formation des étoiles, tout en attribuant parfois un rôle à la puissance divine. Il juge «absurde» le concept de l’action à distance, qui est pourtant au cœur de sa théorie.
La mécanique de Newton a été boudée en France, alors que planait encore la figure tutélaire de Descartes. On devra attendre soixante-douze ans avant la traduction française des Principia, par Emilie du Châtelet.
En 1887, à la stupéfaction générale, les expériences de Michelson et Morley révèlent que la vitesse de la lumière est une constante, quelle que soit la vitesse de la source. C’est l’origine de la théorie de la relativité restreinte d’Einstein (1905). L’espace et le temps sont irrémédiablement liées dans le concept révolutionnaire d’espace-temps. Dans la relativité générale (1916), la gravitation exercée par un corps courbe l’espace-temps en son voisinage et forme une sorte de puits dans lequel les objets extérieurs, y compris la lumière, sont attirés.
Einstein se fait cosmologue et applique la relativité générale à l’Univers entier (1917). Il croit en un Univers stable et fini. Mais ses équations mènent à un effondrement et le voici ramené à la question de Bentley de 1692 ! A contrecœur, Einstein décide d’ajouter une «constante cosmologique» répulsive, appelée Lambda, pour stabiliser son modèle. Le jeune Russe Alexander Friedmann démontre que ces équations conduisent en fait à une grande variété de modèles instables, en contraction ou en expansion selon la densité de l’Univers (1922). Rejet d’Einstein, à tort. En 1927, le chanoine belge Georges Lemaître annonce que l’Univers est en expansion. Nouveau rejet d’Einstein qui lui lance : « Votre physique est abominable !». En 1929, l’Américain Hubble établit la loi de l’expansion (rebaptisée loi de Hubble-Lemaître… en 2018 !). Devant l’évidence, Einstein renonce à son modèle statique et supprime Lambda de ses équations (1930).
Coup de théâtre en 1964. On découvre par hasard un rayonnement quasi uniforme qui enveloppe tout l’Univers. Il s’agit de l’énergie résiduelle du «Big Bang» (nom donné ironiquement par les sceptiques), que Friedmann et Lemaître avaient théorisé et qui se trouve ainsi confirmé. Ce rayonnement fossile garde l’empreinte des premiers évènements et constitue une mine d’informations.
Dans les années soixante-dix, on détecte une anomalie de taille : les étoiles situées en périphérie de leur galaxie se déplacent à des vitesses si grandes qu’elles devraient théoriquement être éjectées. Ce phénomène ne s’explique que par la présence d’une masse de matière invisible, inconnue, ou «matière noire».
En 1998, nouveau coup de théâtre : l’expansion de l’Univers est en accélération ! Dès lors, on réintroduit dans les équations la fameuse constante Lambda, ajoutée puis supprimée par Einstein. L’énergie associée, de nature inconnue, est appelée «énergie noire».
Matière et énergie noires représentent respectivement 26% et 69% de la masse-énergie de l’Univers. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ce sont donc 95% de notre Univers observable qui nous sont totalement inconnus ! Un constat troublant, malgré les incontestables progrès réalisés depuis Bentley. Une nouvelle théorie est demandée d’urgence. Le télescope spatial James Webb, lancé de Guyane en 2021, pourrait-il en donner les clés ?
Cette histoire très technique a aussi ses épisodes bien humains : le rôle capital de Halley dans la publication des Principia, les moqueries à l’égard d’Einstein pour ses faiblesses mathématiques et l’aide qu’il a demandée à Grossman, la reconnaissance tardive de l’abbé Lemaître, son désaccord avec le pape, l’humour d’Eddington : «Est-il vrai que seulement trois personnes dans le monde comprennent la relativité ? ». Il répond : «Je ne vois pas qui est la troisième».
Le style est simple, les explications sont accessibles, avec quelques inévitables passages ardus. Comme le souhaite André Maeder, le lecteur connaîtra probablement, à son niveau, cette «joie de la pensée» qui était chère à Einstein.