Forces de la nature. Ces femmes qui ont changé la science

Anna Reser, Leila MacNeil

(Belin, 2023, 272 p. 24,90€)

 
Forces de la nature. Ces femmes qui ont changé la science (A. Reser, L. MacNeil, Belin)Les femmes brillent par leur absence dans l’histoire des sciences. Et c’est une injustice selon les historiennes Anna Reser et Leila McNeil. Leur livre nous présente une impressionnante galerie de portraits de femmes, anonymes ou méconnues, «qui ont changé la science». Morceaux choisis :

Dans les mondes antique et médiéval, les femmes sont guérisseuses et sages-femmes, et les plantes médicinales sont leur chasse gardée. Leur accès à l’éducation et à la vie publique est fermé.

A partir du XVIIe siècle, quelques-unes parviennent à percer la muraille.
Maria Cunitz publie un livre de calculs d’astronomie en allemand (1650), destiné à un public profane, et corrige même des erreurs du grand Kepler.
Nicole Lepaute, épouse de l’horloger de Louis XV, calcule avec succès la date du retour de la comète de Halley, recueillant les éloges publics de l’astronome Lalande.
Marie-Anne Lavoisier, l’épouse du grand chimiste, traduit pour son mari les chimistes anglais et illustre ses livres. «Il est probable qu’il ne serait arrivé à rien sans l’aide de Marie-Anne», déclarent les auteures sans toutefois étayer cette affirmation discutable.

La botanique est le domaine privilégié des femmes.
La naturaliste allemande Maria Merian part au Suriname, à 52 ans, seule avec sa fille, pour y étudier les insectes (1699) durant vingt-et-un mois. Elle en tire un magnifique ouvrage, Metamorphosis, un chef-d’œuvre de l’histoire naturelle. Merian était aidée au Suriname par des esclaves, et les auteures déplorent, avec leurs yeux du XXIe siècle, «l’absence de vergogne des scientifiques européens qui exploitent à leur compte les savoirs des personnes qu’ils asservissaient».
Première femme à faire le tour du monde, la Française Jeanne Barret a dû se travestir en homme au départ de l’expédition scientifique dirigée par Louis de Bougainville (1766). A son retour, la Marine royale lui accorde le titre de «femme extraordinaire», et une retraite !

La vulgarisation scientifique est en vogue au XIXe siècle et les femmes s’y distinguent.
Jane Marcet assiste aux conférences de la Royal Society (1801) à Londres puis publie un livre, Conversations on Chemistry, qui bat des records de vente (seize éditions, les premières étaient anonymes). C’est en lisant ce livre que le jeune Michael Faraday, apprenti-relieur, décide de se consacrer à la science. Il deviendra l’un des plus grands savants de l’histoire.
Elisabeth Elmy a mis la science au service de son activisme féministe. Elle utilise la botanique pour initier les enfants, puis les adultes, à la sexualité humaine (1895).

De 1880 à 1930, c’est l’ère des étonnantes «dames calculatrices» dans les observatoires astronomiques du monde entier. Des centaines de femmes scrutent des milliers de clichés photographiques, calculent la position des étoiles, mesurent leurs distances et leur luminosité. Certaines vont au-delà de ces calculs répétitifs : ainsi, on attribue à Williamina Fleming, de Harvard, la découverte de dix novæ, cinquante-neuf nébuleuses et plus de trois-cents étoiles variables.

Au tournant du XXe siècle, les féministes revendiquent la libre procréation. Ce mouvement se fond parfois avec le courant eugéniste, qui cherche à limiter la reproduction de certaines catégories de population. Margaret Sanger utilise la rhétorique eugéniste pour promouvoir le contrôle des naissances et ouvre la première clinique à New York en 1916.

Bertha Parker, petite-fille du chef des Abénakis, une tribu indienne de l’Est du Canada, apprend l’archéologie dans le désert du Nevada : ses découvertes relancent le débat sur l’arrivée des humains en Amérique du Nord (1930). Selon les auteures, elle a «humanisé une science [l’archéologie] jusqu’alors farcie de croyances racistes» et rendu leur fierté aux peuples indigènes.

La biologiste Rachel Carson publie Silent Spring en 1962. Elle y dénonce les effets dévastateurs du pesticide DDT, qui sera interdit en 1972. C’est le début du mouvement écologiste. Une autre femme, Ellen Richards, professeur au MIT, révèle la pollution problématique de l’eau par les déchets industriels, notamment les dérivés du chlore.

Ce florilège ne représente qu’une petite portion des deux-cent-cinquante pages du livre et ses quelque soixante-dix personnages féminins. Les auteures ont choisi de ne pas inclure la star Marie Curie pour mieux sortir les autres de l’ombre. De même, Hypathie d’Alexandrie, mathématicienne et astronome du Ve siècle, est juste évoquée. Lise Meitner, découvreuse de la fission nucléaire (1938), n’a droit qu’à quelques lignes, et des femmes remarquables comme Emilie du Châtelet, Sophie Germain ou Ada Lovelace ne sont pas mentionnées.
Mais l’exhaustivité est impossible et les auteures sont libres de leurs choix. Par l’abondance et la qualité des personnalités présentées, la plupart méconnues, ce livre est très instructif et éclaire l’histoire des sciences d’une lumière nouvelle.