Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
En 2024 la réémergence du virus Oropouche (OROV) avec de nouveaux réassortiments en Amérique Centrale, en Amérique du Sud et dans les Caraïbes, associée à une expansion dans des zones auparavant non endémiques, a suscité des inquiétudes quant à la menace plus forte que cet agent représente pour les pays voisins (territoires français des Caraïbes et Amérique du Nord). La contamination de voyageurs européens (Espagne, Allemagne, Italie, France) ou américains du Nord de retour de Cuba ou du Brésil a renforcé cette inquiétude justifiant plusieurs alertes dans le Monde dès février 20241.

L’OROV est transmis à l’Homme principalement par la piqûre d’un culicoïde (ou moucheron piqueur) dont il existe de nombreuses espèces dans le monde. Culicoides paraensis est considéré comme le principal vecteur, les moustiques étant parfois incriminés en tant que vecteurs secondaires.
La fièvre d’Oropouche (FO) est une maladie fébrile ressemblant à d’autres arboviroses humaines (fièvre dengue, chikungunya, Zika ou infection par le virus du Nil occidental). Il s’agit aussi d’une zoonose car le virus a été détecté ou suspecté chez plusieurs réservoirs animaux (paresseux à trois doigts, ouistitis, capucin olive, oiseaux, rongeur…).
Réémergence en 2024
L’émergence en 2024 de la FO peut reconnaître plusieurs causes : réassortiments de l’OROV plus virulents avec de nouveaux aspects cliniques ? maladie sous-estimée avant 2024 ? échanges internationaux ? déforestation ? … En effet, cette émergence n’est pas sans rappeler celle du chikungunya dans la France d’Outre-mer avec les symptômes suivants : manifestations neurologiques (méningites, encéphalites, Guillain-Barré…), atteinte materno-foetale se traduisant par des avortements ou à des anomalies congénitales (microcéphalie…), plus rarement un décès sans comorbidité repérée.
Outre la transmission verticale, la présence du virus ou de son ARN dans le sperme, les urines et différents tissus suggèrent que le virus pourrait être transmis par la voie sexuelle, par don d’organes ou de tissus voire par transfusion sanguine du fait d’une virémie. Le diagnostic clinique de la FO nécessite d’être différencié des autres arboviroses présentant des symptômes similaires. Seul le diagnostic virologique (sang, liquide céphalo-rachidien…) peut permettre de confirmer une infection par l’OROV.
Transmis par des moucherons piqueurs
La particularité de l’OROV est d’être principalement transmis par des moucherons piqueurs et non par des moustiques comme les autres arboviroses. Les culicoïdes sont aussi responsables de trois maladies virales chez les ruminants, confinées auparavant dans des régions tropicales ou subtropicales, qui se sont révélées catastrophiques dans les élevages européens ces deux dernières décennies : la fièvre catarrhale ovine ou FCO et la maladie hémorragique épizootique ou MHE des bovins dues à des orbivirus ainsi que la maladie de Schmallenberg (MSB) due à un Orthobunyavirus (SBV) proche de l’OROV. Si la MHE est apparue en France en septembre 2022 suite à la propagation aérienne des vecteurs à partir du Maghreb vers l’Espagne, l’apparition surprenante de la FCO et de la MSB en Europe du Nord suggère une importation accidentelle de moucherons infectés transcontinentale. La similitude épidémiologique des six vagues successives observées entre 2006 et 2024 permet de suspecter leur importation avec des fleurs exotiques près des carrefours aériens du commerce mondial des fleurs aux Pays-Bas. Ces vecteurs auraient trouvé ensuite un relais avec des moucherons autochtones1. La progression de chacune de ces maladies dans toute l’Europe est liée vraisemblablement par un relais avec d’autres culicoïdes autochtones. Ces exemples en médecine vétérinaire doivent alerter sur un risque (difficile à évaluer) d’une propagation de l’OROV en Europe selon un scénario identique. Les voyageurs infectés revenant d’une zone où la maladie sévit sous une forme endémique peuvent aussi représenter un risque (aucune transmission autochtone n’a pas été signalée en Europe ou en Amérique du Nord à la date de cet article).
L’inconvénient majeur de la détection de ces arboviroses est la découverte tardive de leur émergence par l’apparition des foyers humains et/ou animaux où la prévention s’effectue dans l’urgence. L’espoir d’une détection précoce des arbovirus avant l’apparition de la maladie a été démontré dans une étude récente réalisée en France. Les résultats préliminaires d’une surveillance par le piégeage de moustiques infectés par deux virus zoonotiques [« Culex-borne arbovirus » du Nil occidental (VNO) et Usutu (USUV)] en Nouvelle-Aquitaine marquent un tournant dans l’épidémiologie de ces arboviroses. Le Haut Conseil de Santé Publique a pu ainsi écarter précocement des lots de sang contaminés par le VNO alors qu’aucun cas humain n’avait encore été observé2.
Face à l’émergence actuelle de la fièvre d’Oropouche transmise principalement par un culicoïde en Amérique du Sud et dans les Caraïbes il importe de recommander :
-la nécessité de la mise en place d’une surveillance en France (métropole et territoires d’outre-mer) des « Culicoide-borne arbovirus » en favorisant les méthodes de détection précoce de ces arbovirus tant en médecine vétérinaire qu’en médecine humaine dans un contexte « une seule santé » permettant d’intervenir avant l’apparition des premiers foyers humains et/ou animaux.
-d’avertir les voyageurs sur les risques encourus lors d’une destination vers un pays atteint notamment, pour la France d’outre-mer, en Guyane (où la maladie est observée depuis 2020) et la Guadeloupe ;
-la lutte anti-vectorielle dans les pays atteints en l’absence de tout traitement spécifique ou de vaccins ;
-chez les femmes enceintes, ou susceptibles de l’être, de reporter, par précaution, tout projet de voyage vers une zone d’endémie ;
-la protection par préservatifs lors de rapports sexuels dans les zones endémiques ;
-la surveillance du risque zoonotique éventuel d’un réassortiment de l’OROV avec le SBV encore présent en Europe chez les ruminants ;
-la recherche de l’OROV chez les voyageurs de retour d’une zone endémique lorsqu’une suspicion de dengue ou de chikungunya a été éliminée ;
Bibliographie
- Brugère-Picoux J et al., Réémergence en Amérique du Sud du virus Oropouche dont le principal vecteur est un culoicoïde : faut-il s’inquiéter ? Bull Acad Nat Med, 2025, 209, 647-858 ↩︎
- Gonzalez G et al. Paradigm Shift Toward “One Health” Monitoring of Culex -Borne Arbovirus Circulation in France : The 2022 Inaugural Spotlight on West Nile and Usutu Viruses in Nouvelle-Aquitaine. Open Forum Infect Dis. 2025;12(5):ofaf243. ↩︎