Covid-19 et aspects vétérinaires : actualités au 28 avril 2020

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
 
Covid-19 et aspects vétérinaires

Animaux contaminés par l’Homme Covid-19 positif

Depuis le premier cas du 26 février d’un chien contaminé par sa propriétaire atteinte de la Covid-19 à Hong Kong, la possibilité d’une contamination Homme-animal par le virus responsable (Sars-CoV-2) a été observée également chez d’autres carnivores à Hong Kong, en Belgique, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas.

Le premier chien de Hong Kong était un Loulou de Poméranie âgé (17 ans), mis en quarantaine le 26 février et sans signes cliniques. Les prélèvements nasaux et oraux se sont révélés faiblement positifs pour la recherche de l’ARN viral par RT-PCR à cinq reprises puis les derniers prélèvements se sont révélés négatifs. Les prélèvements rectaux ont été négatifs. Ce chien est mort deux jours après son retour de quarantaine chez sa propriétaire, le 16 mars, à la suite de déficiences rénales et cardiaques. Et ce n’est qu’après ce décès, le 26 mars, que l’on a appris que la recherche d’anticorps sur un prélèvement sanguin, du 3 mars, s’était révélée finalement positive. Du fait des faibles valeurs de PCR, on peut penser que l’infection développée par le chien a été trop faiblement productive pour attester d’un risque de contagiosité.

Le second chien positif de Hong Kong est un berger allemand âgé de 2 ans envoyé en quarantaine depuis le 18 mars 2020 avec un chien négatif de race mixte de la même résidence [1]. Comme le cas précédent, il a été contaminé par son propriétaire et révélé positif lors de la recherche de l’ARN viral en RT-PCR, les 19 et 20 mars, mais sans présenter de symptômes. Les données concernant ce deuxième cas ne permettent pas de conclure à une infection productive.

Le troisième cas a été annoncé le 27 mars, chez un chat belge par le Comité scientifique (SciCom) institué auprès de l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (Afsca) [2]. Le chat belge a été diagnostiqué positif par la faculté de médecine vétérinaire de l’université de Liège, le 18 mars. Le chat vivait chez sa propriétaire atteinte de la Covid-19 après un voyage en Italie et confinée à son domicile. Il a présenté des symptômes (anorexie, diarrhée, vomissements, toux et respiration superficielle) une semaine après le retour de sa propriétaire. Les prélèvements de liquides gastriques et de matières fécales se sont révélés positifs en PCR. Dix jours plus tard, l’état du chat s’est amélioré mais d’autres examens n’ont pu être réalisés du fait du confinement du chat et de la propriétaire. Selon le SciCom, il n’est pas possible de conclure à une infection virale productive mais elle peut être suspectée du fait des symptômes compatibles avec une coronavirose. Mais le chat peut aussi avoir été un vecteur passif du fait de la forte contamination de l’environnement liée à sa propriétaire infectée et confinée.

Le quatrième cas concerne un chat de Hong Kong déclaré le 3 avril 2020 à l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). Il a été placé sous quarantaine le 30 mars à la suite de l’hospitalisation de son maître contaminé par la Covid-19. Tous les échantillons (nasaux, cavité buccale, fèces) ont été positifs au Sars-CoV-2, de même que le 1er avril pour des écouvillons nasaux et oraux. Ce chat reste sous surveillance.

Depuis, il a été annoncé le 5 avril que des tigres et des lions pouvaient être contaminés dans un zoo du Bronx avec l’apparition de signes cliniques et une confirmation de la présence du virus sur plusieurs animaux le 22 avril (5 tigres et 3 lions) [3].

Puis deux chats new-yorkais ont été déclarés positifs [4]. Le premier chat présentait des symptômes respiratoires alors qu’il n’y avait aucun cas de Covid-19 dans les habitants de la maison. Ce chat peut avoir été contaminé par une personne extérieure à son domicile ou son propriétaire asymptomatique. Le propriétaire du second chat avait été diagnostiqué atteint de la Covid-19 avant l’apparition des symptômes chez son chat (troubles respiratoires), un autre chat présent au domicile n’ayant présenté aucun symptôme.

Enfin, le 26 avril 2020, le ministère de l’Agriculture néerlandais a annoncé que deux fermes comportant plus de 20 000 visons d’élevage avaient été contaminées par le virus de la Covid-19 (cf. article du 27 avril 2020)

Recherche d’anticorps chez les animaux de compagnie

Les laboratoires Idexx ont mis au point un test de diagnostic Idexx Sars-CoV-2 (Covid-19) RealPCR test ND.
Ce test a été réalisé sur près de 4000 échantillons respiratoires (77%) ou fécaux (23%), récoltés entre le 24 février et le 12 mars 2020 dans 50 Etats américains et en Corée du Sud où il existait des cas humains de Covid-19. Tous les animaux de compagnie testés (chiens : 55%, chats : 41% et chevaux : 4%) se sont révélés négatifs.
Une autre enquête sérologique (ELISA) réalisée chez des chats à Wuhan prélevés avant et après l’épidémie de Covid-19 a montré que le virus avait contaminé 11 chats sur les 102 prélevés après l’épidémie (les chats témoins prélevés avant l’épidémie étaient négatifs) [5]. Les taux d’anticorps les plus importants ont été relevés chez les trois chats dont les propriétaires étaient Covid-19 positifs (1/360, 1/360 et 1/1080).
Enfin une dernière recherche d’anticorps a concerné en France 21 animaux (9 chats et 12 chiens) en contact étroit avec 20 étudiants de l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort, dont 13 avaient présenté les symptômes de la Covid-19 (parmi lesquels 2 étudiants ont été confirmés positifs) [6]. Tous les animaux se sont révélés négatifs.
Une étude sur une plus large échelle dans plusieurs pays très affectés est nécessaire pour connaître si le Sars-CoV-2 circule ou non chez nos animaux de compagnie pendant une période d’épidémie importante.

Reproductions expérimentales de la Covid-19 chez des animaux

L’éditorial de la revue Nature du 1er avril 2020 rapporte les résultats des travaux réalisés par une équipe chinoise de l’Institut de recherche vétérinaire de Harbin [7] démontrant que l’on pouvait reproduire expérimentalement par inoculation intranasale l’infection par des virus Sars-CoV-2 chez des animaux pouvant être de compagnie ou de ferme (furets, chats, chiens, poulets, porcs et canards). Il faut noter que dans ce document prépublié (n’ayant pas encore fait l’objet d’une validation), seul un petit nombre d’animaux ont été inoculés, avec des fortes doses de virus. Le virus a été détecté dans les premières voies respiratoires des furets qui n’ont pas présenté de symptômes importants ou une mortalité. Cinq chats ont pu être infectés avec une excrétion virale dans les échantillons respiratoires et fécaux et une séroconversion. Il a été possible de démontrer que le virus pouvait être transmis par la voie aérienne sur l’un des trois chats en contact avec les chats inoculés. Les trois chiens inoculés ont montré une très faible sensibilité à l’infection virale. Enfin les porcs, les poulets et les canards ne se sont pas révélés sensibles.

Dans une seconde publication du 31 mars [8], une équipe sud-coréenne rapporte l’inoculation expérimentale de furets avec de fortes doses de virus. Chez ces furets, on a pu retrouver le virus dans les cavités nasales, la salive, l’urine et les fèces jusqu’à 8 jours suivant l’inoculation. Il a été aussi possible de démontrer une contagiosité chez des furets placés en contact direct dans la même cage que les furets inoculés. Pour quelques furets en contact indirect car placés dans des cages séparées, on a pu aussi démontrer la possibilité d’une transmission par la voie aérienne. Par comparaison avec les inoculations réalisées avec le Sars-CoV du Sras, les auteurs font remarquer que les aspects cliniques et les titres de virus dans les poumons sont plus faibles avec le Sars-CoV-2 mais que l’infection persiste plus longtemps chez l’animal, avec la possibilité d’un portage asymptomatique permettant la propagation du virus. Le furet peut néanmoins être un modèle animal pour l’étude de l’infection par le Sars-CoV-2 comme dans le cas de plusieurs viroses respiratoires humaines (virus influenza ou parainfluenza, virus respiratoire syncytial, Sars-CoV-1). Ce document prépublié ne concerne que 24 furets et n’a pas encore fait l’objet d’une validation.

Une étude ultérieure allemande du Friedrich-Loeffler-Institute [9] confirme la sensibilité du furet (24 animaux testés) et la résistance des porcs (9 testés) et des volailles (17 poulets testés) au Sars-CoV-2. Dans cette étude, 9 chauves-souris (roussettes/Rousettus aegyptiacus) ont été aussi inoculées et ont répliqué le virus dans leurs premières voies respiratoires, contaminant aussi par contact une des trois chauves-souris testées.
Rappelons que des études antérieures sur le Sars-CoV à l’origine du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) avaient déjà montré expérimentalement que les chats pouvaient être infectés et contaminer d’autres chats sans que l’on ait montré un rôle épidémiologique des chats dans ce syndrome.

Les observations précitées ne permettent pas, actuellement, de conclure à une infection productive favorisant une éventuelle contagiosité animal-Homme ou animal-animal. L’Anses vient d’ailleurs de confirmer, dans un avis du 20 avril [10], que «les animaux domestiques (d’élevage et de compagnie) n’ont pas de rôle dans la transmission du virus de la Covid-19 à l’Homme». Les chauves-souris européennes sont porteuses de coronavirus très différents du Sars-CoV-2. Le risque d’une contamination de ces espèces utiles et protégées par des personnes infectées est fort peu probable mais il importe de respecter leur écosystème.

Mesures de biosécurité

Ces observations ne modifient pas les recommandations formulées depuis le début de la pandémie. Il n’est pas nécessaire de séparer les animaux de la famille lorsqu’une personne est Covid-19 positive dans le milieu familial mais il faut renforcer les mesures de biosécurité habituellement recommandées pour éviter les zoonoses liées aux animaux de compagnie, notamment le lavage des mains, l’entretien de la litière ou l’apport des aliments tout en évitant un contact à risque avec l’animal (baisers, léchage, partage de la nourriture notamment).
Par conséquent, l’important est, lorsque la personne infectée est maintenue à domicile, de réduire au maximum les possibilités de contacts de l’animal avec celle-ci et de désinfecter son environnement. Il faut aussi recommander qu’une autre personne vivant sous le même toit s’occupe de l’animal.

Sars-CoV-2 et barrière d’espèce

Dans un article publié par l’Académie vétérinaire de France [11], Eric Leroy souligne que la «barrière d’espèce n’est pas si imperméable» avec les virus de type Sars-CoV-1 ou Sars-CoV-2 dont on connaît l’origine zoonotique, d’une part avec les chauves-souris du genre Rhinolophus mais aussi avec différents hôtes intermédiaires possibles, dont la civette palmiste à masque pour le Sars-CoV-1 et le Pangolin asiatique (Manis javanica) pour le Sars-CoV-2, d’autres carnivores ayant été sensibles à l’un et/ou l’autre de ces virus (chats, chiens viverrins, furet). La protéine de surface (S) du Sars-CoV-2 intervient dans l’attachement du virus à la cellule hôte, la fusion membranaire et son entrée dans la cellule. La sous-unité de cette protéine (S1) permet l’attachement de Sars-CoV-2 à la cellule cible du fait de l’interaction entre un site de liaison, le receptor binding domain (RBD) et un récepteur situé à la surface de la cellule comme l’angiotensin-converting enzyme 2 (ACE2). Le RBD du Sars-CoV-2 aurait une affinité non seulement pour le récepteur ACE2 de l’Homme mais aussi pour plusieurs espèces animales, qu’il s’agisse d’animaux de compagnie (chiens, chats, furets) ou d’animaux d’élevage tels que les bovins, moutons ou chevaux. Comme les coronavirus pathogènes pour les chiens et les chats seraient issus d’une recombinaison au niveau de la protéine S, on ne peut exclure la possibilité (difficile à évaluer) d’une recombinaison en cas de co-infection avec le Sars-CoV-2.

Comme l’ont souligné Sun et al. [12], «les similitudes de la séquence des récepteurs se liant au Sars-CoV-2 entre l’Homme et les animaux suggèrent une faible barrière d’espèce pour la transmission du virus aux animaux de ferme. Nous proposons, sur la base du modèle une seule santé, que les vétérinaires et les spécialistes des animaux soient impliqués dans une collaboration interdisciplinaire dans la lutte contre cette épidémie».

 

[1] Les trois cas de Hong Kong ont fait l’objet d’une alerte sanitaire pour maladie émergente à potentiel zoonotique inconnu à l’Office international des épizooties :
https://www.oie.int/wahis_2/public/wahid.php/Reviewreport/Review/viewsummary?fupser=&dothis=&reportid=33455
https://www.oie.int/wahis_2/public/wahid.php/Reviewreport/Review/viewsummary?fupser=&dothis=&reportid=33684
https://www.oie.int/wahis_2/public/wahid.php/Reviewreport/Review/viewsummary?fupser=&dothis=&reportid=33832
[2] https://urlz.fr/cfa1.
[3] https://www.theverge.com/2020/4/6/21211217/pets-cats-tigers-bronx-zoo-covid-19-coronavirus
[4] https://edition.cnn.com/2020/04/22/health/cats-new-york-coronavirus-trnd/index.html
[5] Zhang Q et al. Sars-CoV-2 Neutralizing Serum Antibodies in Cats: a Serological Investigation. https://doi.org/10.1101/2020.04.01.021196 (prépublication non validée).
[6] Temman S. et al. Absence of Sars-CoV-2 Infection in Cats and Dogs in close Contact with a Cluster of Covid-19 Patients in a Veterinary Campus. bioRxiv preprint doi: https://doi.org/10.1101/2020.04.07.029090.
[7] Jianzhong Shi et al. Susceptibility of ferrets, cats, dogs, and different domestic animals to Sars-coronavirus-2. bioRxiv preprint 2020.03.30.015347v1.full.pdf
[8] Young-Il Kim et al. Infection and Rapid Transmission of Sars-CoV-2 in Ferrets. Journal pre-proof. CellPress.DOI: 10.1016/j.chom.2020.03.023.
[9] Beer Martin. Covid-19: Experimental Infection of Fruit Bats, Ferrets, Pigs, and Chicken with Sars-CoV-2 at Friedrich-Loeffler-Institut. Promed Post – ProMED-mail 10 Apr 2020.
[10] https://www.anses.fr/fr/content/covid-19-pas-de-r%C3%B4le-des-animaux-domestiques-dans-la-transmission-du-virus-%C3%A0-l%E2%80%99homme
[11] Leroy E et al. Transmission du Covid-19 aux animaux de compagnie : un risque à ne pas négliger. Bull. Acad. Vét. France, 2020. http://www.academie-veterinaire-defrance.org/
[12] Sun J, Wan-Ting H, Wang L, Lai A, Ji X et al. Covid-19: Epidemiology, Evolution, and Cross-disciplinary Perspectives. Trends Mol Med. , 2020. (https://doi.org/10.1016/j.molmed.2020.02.008) Online ahead of print.