Les membres de l’Afas publient régulièrement des notes de lectures. Elles sont à retrouver ici.
Jean de Kervasdoué
(Albin Michel, 2021, 208 p. 18,90€)
Le ton est donné d’emblée, et par le titre et par le bandeau que l’éditeur ajoute à la couverture, «Le véritable état des lieux de la planète». Il s’agit de dénoncer la «philosophie écologico-malthusienne».
Pour ce faire, l’auteur reprend, dans une première partie intitulée «Dérives écologiques», divers sujets d’actualité : la question de l’eau (qui a dit qu’on allait manquer d’eau ?), la question des incendies (des incendies très politiques), la question de la biodiversité (la biodiversité a la vie dure), les abeilles (les abeilles adeptes de Darwin), la surpêche (la surpêche, terrible réalité), la forêt (la forêt, autre victime de l’ignorance ambiante), en dénonçant les discours simplistes sur chacun de ces thèmes.
Puis, dans une deuxième partie, il identifie des «procès d’intention» en revenant, dans plusieurs chapitres, sur le sujet de l’alimentation. Il dénonce les critiques de la consommation de viande rouge, relativise les bienfaits de l’agriculture «biologique» et présente les «indéniables progrès apportés par les OGM».
Dans la troisième et dernière partie, «Paradoxes», après avoir affirmé dans un premier chapitre que «le nucléaire c’est l’avenir», il ouvre plus largement le débat en abordant la relation entre science et droit, notamment après la décision d’introduire le principe de précaution, et en rappelant la valeur de la méthode expérimentale (avec l’exemple du diesel). Il attaque enfin «le retour de la pensée magique» (exemple de la «biodynamie») et les «ruses du mensonge» en critiquant notamment la convention citoyenne sur le climat. «La nouvelle religion, l’écologisme, excommunie les mal-pensants.»
L'intitulé de l'introduction «Vrais problèmes, fausses solutions» laissait envisager une analyse balancée de l'ensemble des questions environnementales. Mais c'est plutôt d'un pamphlet qu'il s'agit. Rapidement écrit, il apporte des arguments intéressants sur de nombreux sujets faisant débat, même si c’est parfois sur un mode sommaire. Attaché avant tout à mettre en évidence des fausses pistes, l’auteur ne délivre pas de véritable synthèse ni de propositions toutes faites concernant le sujet global du réchauffement climatique. Il invite à plus d’objectivité et de réflexion.
Cédric Grimoult
(Ellipses, 2020, 384 p. 26€)
Le cou de la girafe l’a rendu célèbre, mais il reste inconnu. Jean-Baptiste Lamarck, ce «célèbre inconnu», est le sujet du dernier livre de Cédric Grimoult, historien des sciences et spécialiste de l’évolution.
Lamarck est d’abord un naturaliste exceptionnel : il classe l’ensemble de la flore française, soit 6000 plantes, dont la moitié d’espèces nouvelles. Buffon lui ouvre l’Académie des sciences. Il est nommé «botaniste du Roi» en 1788.
Le savant touche à diverses disciplines, avec plus ou moins de bonheur. Il récuse la nouvelle chimie de Lavoisier. Il affirme que tous les minéraux sont d’origine organique ! «Mes preuves à ce sujet sont trop évidentes, et ne me paraissent pas permettre le moindre doute.» Déclaration consternante qu’il révisera plus tard.
Il est l’un des premiers à publier ses prévisions météorologiques, forcément approximatives, ce qui lui vaudra une rude semonce en public de Napoléon pour son «absurde météorologie», qui l’aurait laissé en pleurs selon Arago.
En bon historien des sciences, Cédric Grimoult ne s’érige pas en juge du haut de son savoir du XXIe siècle. Mais il pointe les (nombreuses) incohérences de Lamarck avec les faits connus à la fin du XVIIIe siècle. Celui-ci se révèle un savant déductif, à l’ancienne, qui proclame des principes sans se soucier des faits. Eduqué chez les jésuites (à Amiens), il est dans la lignée de Descartes. Il écoute peu ses collègues. Il ne les cite jamais. Il se présente en victime marginalisée.
En 1793, il est en charge des insectes, des vers et autres animaux microscopiques au Muséum d’histoire naturelle. Il s’attaque à leur classification : il crée la catégorie (et le mot) des Invertébrés. Ce travail est salué dans toute l’Europe (7000 espèces, dont plus de 1000 genres).
Grimoult présente sur cinquante pages un passionnant panorama des innombrables théories de l’évolution depuis Lucrèce jusqu’à 1800. Quelques exemples : Vanini, brûlé en 1619, pense que «l’homme vient de la semence des guenons et des singes». Maupertuis (sous un nom d’emprunt) croit, comme beaucoup d’autres, en l’hérédité de l’acquis : la race noire provient de la race blanche qui s’est acclimatée au soleil (1744). Buffon est contraint de se rétracter pour sa Théorie de la Terre (1751). Voltaire ne croit pas au transformisme. Diderot croit à la génération spontanée. Erasmus Darwin (grand-père de Charles) et Goethe sont adeptes de la transformation des espèces (1794). Les romans de Rétif de la Bretonne s’approprient toutes ces thématiques (1796).
En 1800, Lamarck présente ce qui est considéré comme la première théorie globale de l’évolution, qu’il affinera durant vingt ans. Grimoult procède à une analyse détaillée de ses trois grands ouvrages de 1802, 1809 et 1820. Lamarck adhère au transformisme. La nature est une puissance dynamique, où Dieu n’a pas sa part. Il croit au progrès général de la nature, tout en pressentant que «l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable». Le monde est déterministe ; le libre arbitre n’existe pas. La fonction crée l’organe. Pour le héron, vouloir pêcher sans se mouiller entraîne un allongement de son cou (une variante de l’exemple de la girafe). Il s’agit de l’argument le plus original de sa théorie, et le plus controversé.
Le meilleur ennemi de Lamarck est Georges Cuvier, paléontologue des Vertébrés, fixiste et créationniste. Cuvier lui lance des défis et le poursuit de ses «sanglantes épigrammes» ridiculisant sa théorie («C’est en se mouchant que l’homme a fait son nez»).
Dans ses dernières années, Lamarck milite pour réduire les inégalités sociales. Il critique l’injustice du suffrage censitaire établi sous la Restauration. Il se présente lui-même comme un savant désintéressé ; il reçoit certes un salaire honorable, mais quatre fois inférieur à celui de Cuvier !
Lamarck est mort à 85 ans (1829). Odieux, Cuvier écrit un Eloge funèbre raillant le défunt.
En 1859, Charles Darwin publie L’Origine des espèces et introduit le concept fondamental de «sélection naturelle». On prouve ensuite que les caractères acquis ne sont pas héréditaires, ce qui réfute la thèse de Lamarck. L’auteur montre que la récente «épigénétique» ne vient pas corriger cette conclusion.
Le débat Darwin - Lamarck s’est poursuivi pendant un siècle, parasité par des querelles idéologiques, où la position de chacun est caricaturée. En France, Lamarck a été et reste encore «l’étendard de ceux qui ne sont pas satisfaits du mécanisme de sélection».
Ce livre lève un voile, sans complaisance, sur un personnage énigmatique, à la fois déplaisant et attachant. Il nous fait découvrir en détails la première théorie complète de l’évolution, nous guide dans l’enchevêtrement des théories concurrentes de ses précurseurs, et de sa postérité. Une pierre fondamentale dans l’histoire des sciences et des idées.
Laurent Palka
(Quae, 2020, 176 p. 24,50€)
La collection «Carnets de sciences» des éditions Quae confirme une certaine originalité des livres scientifiques publiés. Avec Le peuple microbien de Laurent Palka, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle à Paris, c’est un voyage particulier auquel nous sommes conviés.
L’auteur est accompagné d’une vingtaine de spécialistes, professeur au Muséum, directeur de recherche à l’Institut Pasteur, ingénieur de recherche au CNRS, technicien biologiste, pour les sujets étudiés. Chacun a participé en rédigeant des fiches, en proposant des illustrations, en rendant cet ouvrage vivant.
Vivant il le faut, car il s’agit du monde vivant, acellulaire, procaryote, eucaryote, qui vit dans des milieux variés comme le corps humain ou animal, les sols, le désert, les eaux chaudes...
Le guide de lecture en pages 9-13 est appréciable, avec des définitions sur la cellule, les bactéries, les archées, les protistes, les virus à la limite du monde vivant. Il permet aussi de comprendre comment les illustrations sont obtenues, à partir du microscope photonique, du microscope électronique à transmission ou à balayage.
Il faut découvrir les six chapitres de ce livre comme un voyage permettrait de le faire, sans suivre forcément l’ordre établi dans le livre. Un conseil toutefois, commencer par situer les êtres vivants sur l’arbre phylogénétique (réalisé à partir de l'ARN ribosomique), comme il est proposé en page 18, selon la théorie de l’ancêtre commun, archées et eucaryotes. Il restera à ajouter les virus, hors de cet arbre, mais inclus dans le monde du vivant ; il est question très souvent dans cet ouvrage de virus animaux, végétaux et de bactériophages.
J’ai particulièrement apprécié le chapitre «Aux limites de la vie» sur les microbes extrêmophiles, obligatoires ou tolérants ; ils habitent des milieux les plus hostiles et, comme le dit l’auteur, «plus on les cherche, plus on les trouve». Le vivant est présent dans des milieux sans eau, sans oxygène, saturés en sel, très acides, à des températures ou très basses ou très élevées. L’auteur nous explique les techniques adaptatives développées par certains pour vivre ou survivre.
Un livre qui nous fait voyager et réfléchir aux limites du vivant.
Jerry A. Coyne
(Markus Haller, 2021, 394 p. 25€)
J’avais déjà eu le très grand plaisir de lire en 2010 la version originale de cet ouvrage (Why Evolution is True) et sa traduction française est fidèle au contenu et à l’esprit du texte original ; on peut seulement regretter qu’elle n’arrive qu’aujourd’hui.
Jerry Coyne s’est toujours fortement engagé par ses recherches, ses enseignements et ses livres dans une défense adroite de la théorie de l’évolution qui, il faut s’en rappeler, était à l’époque en butte aux arguments des créationnistes qui avaient l’oreille de George W. Bush. Il le fait cependant en privilégiant une approche différente de celle des grands ténors comme Richard Dawkins (dont il faut remarquer qu’il s’était félicité de la parution de Why Evolution is True) ou du regretté Stephen Jay Gould. Sans jamais se départir de toute la rigueur nécessaire, il reste plus accessible à des lecteurs curieux voulant s’informer sans pour autant désirer être au fait de tous les arcanes de la théorie de l’évolution.
Coyne a en effet compris qu’afin de justifier leurs convictions, les tenants de la «conception intelligente» mettent en exergue — en en détournant la signification — les moindres désaccords scientifiques sur les mécanismes exacts de l’évolution par la sélection naturelle. Or ces points d’achoppement ne reflètent que les doutes honnêtes et la marche normale de la science. Pour scientifiquement fondamentales qu’elles soient, ces divergences ne sont somme toute que locales et mineures au regard de l’énorme corpus scientifique qui valide la théorie de l’évolution. Coyne, n’a donc pas voulu se livrer à un combat frontal, sans doute justifié mais perdu d’avance, avec les créationnistes les plus pernicieux. Il a plutôt choisi de s’appuyer sur un faisceau d’exemples probants et de données irréfutables apportés par la géologie, la génétique, les mécanismes du développement fœtal, etc., afin de démontrer sans ambiguïté et sans aucune polémique pourquoi la science moderne reconnaît que la théorie de l’évolution est vraie. Il met là à profit, avec logique et clarté, dans un style élégant, joyeux et enthousiaste, bien rendu par le traducteur, toute la richesse de son expérience pédagogique acquise au département d'écologie et d'évolution de l'université de Chicago, où il délivre des cours interdisciplinaires en génétique et en biologie évolutive.
La seule difficulté que je prévois avec ce livre est qu’il sera difficile de le refermer avant de l’avoir terminé…
sous la direction de Laurence Honnorat
(Belin, 2021, 278 p. 18€)
«Il est silencieux, omniprésent et ambigu, d’une irrépressible et inextricable influence». C’est ainsi que Laurence Honnorat qualifie le hasard, thème central de l’ouvrage collectif qu’elle a conçu avec pas moins de trente auteurs !
Ceux-ci sont principalement des scientifiques (physique, astrophysique, mathématiques, informatique, sciences cognitives, climatologie, paléontologie, botanique), mais aussi astronaute, aviateur, psychologue, philosophe, historien, artiste.
Chaque auteur présente un article autour du concept du hasard. Le livre se découpe en trente chapitres d’une dizaine de pages, juxtaposés dans un ordre aléatoire, sans coordination apparente, ni classement. Quelques morceaux choisis de cet ensemble inévitablement hétéroclite :
Les rapports entre l’homme et le hasard font l’objet de six articles, et du titre du livre : Pourquoi moi ?, la question que l’on se pose parfois lorsqu’un malheur nous accable.
Comment des êtres rationnels refusent-ils le hasard pour lui préférer l’hypothèse des complots ou de la main du destin ? A cette question très actuelle, Jean-Louis Dessalles, chercheur en sciences cognitives, répond avec la théorie dite de la «simplicité anormale». Supposons que la série 1, 2, 3, 4, 5, 6 soit tirée au loto. Ce résultat sera considéré comme remarquable. Pourtant sa probabilité est la même que celle de tous les autres tirages possibles. L’être humain tend à penser qu’une situation anormalement simple, comme une série de coïncidences, ne peut pas être le fruit du hasard. Les théories sur la fameuse coïncidence des présidents Lincoln et Kennedy en témoignent. Ce schéma de pensée serait câblé dans nos cerveaux. Peut-être forgé par l’évolution ?
En 1920, Ernest Rutherford écoute les clics de son compteur Geiger qui enregistre les désintégrations radioactives d’un bloc de thorium. Les clics sont irréguliers : une impression de pur hasard. Rutherford est en train de vivre un moment capital de l’histoire des sciences : on prend conscience que certains phénomènes sont naturellement aléatoires. La physique quantique, née en 1900, intégrera cette découverte et deviendra, en partie, probabiliste. Aujourd’hui, elle règne sur le monde des particules avec une précision extraordinaire (huit décimales !).
La cosmologie fait l’objet de sept chapitres et constitue le domaine le plus approfondi du livre.
Le réglage des paramètres cosmologiques tient-il du hasard ? Certains, comme la distance Terre-Soleil, ne peuvent être différents, sans quoi la vie n’existerait pas. Ce n’est pas le cas de la distance Terre-Lune, écrit Jean-Philippe Uzan dans son article passionnant sur les grandes questions de la cosmologie. On y apprend qu'en raison de l’expansion, dans 100 milliards d’années, notre ciel sera vide d’étoiles : «Nous devrions chérir de vivre dans cette petite frange de temps pendant laquelle l’Univers est compréhensible». A méditer en effet.
Ces fameux paramètres dérivent-ils d’une intelligence créatrice comme l’affirme Jean-Dominique Michel dans son article ? Marc Lachièze-Rey fustige cette position, qui se trouve d’ailleurs en dehors du champ de la science.
Au cœur des étoiles, selon la physique quantique, certains noyaux d’hydrogène parviennent à franchir le barrage des forces de répulsion électrique pour fusionner entre eux, ce qui engendre de l’énergie et des noyaux d’atomes de plus en plus lourds, qui seront in fine rejetés dans l’espace à la mort de l’étoile. Ainsi le fer de l’hémoglobine de notre sang provient de ces lointaines explosions d’étoiles ! Fabuleux parcours, semé de multiples hasards, remarquablement raconté par Roland Lehoucq.
Selon Hubert Reeves, le hasard est l’élément-clé qui donne à la nature sa diversité. Par le jeu combiné des lois et du hasard, la nature exprime son «évolution créatrice» (selon la formule de Bergson) et sa complexité croissante, de la particule à la galaxie et l’être humain.
La liste des autres sujets traités illustre bien l’ubiquité du hasard : la tolérance (faible) au monde aléatoire, la reproduction des organismes vivants (une série de hasards qui nous rend uniques), la sélection naturelle (elle trie ce que le hasard propose), les extinctions d’espèces (le hasard des volcans et des météorites), le climat (aucune chance que le hasard ne nous aide), les missions spatiales («les dinosaures ont disparu car ils n’avaient pas de programme spatial»), la voltige aérienne, aléa et liberté, le rôle (trompeur) de l’intuition, l’intelligence artificielle, la métrologie, la fabrication de hasard, les pratiques divinatoires, les essais cliniques du Dr Raoult, le surréalisme, l’espérance de vie, la perception du hasard par les enfants.
Dans son introduction, Laurence Honnorat évoque «cette cogitation à laquelle vous êtes conviés». Promesse tenue. Ce livre, dont la lecture est plaisante, suscite une saine réflexion «à bâtons rompus» sur quelques-unes des innombrables facettes du hasard.
Ian Stewart
(Dunod, 2020, 352 p. 23,90€)
La crise sanitaire nous le rappelle : nous n’aimons pas l’incertitude. Depuis toujours, l’homme s’est efforcé de la réduire, la maîtriser, l’encadrer. Dans son dernier livre, Ian Stewart, mathématicien et professeur émérite à la prestigieuse université de Warwick en Angleterre, nous offre, en 300 pages, un vaste panorama du monde de l’incertitude.
Les premiers chapitres sont consacrés aux grandes étapes historiques.
Dans l’Antiquité, l’art de la prédiction était d’une grande complexité. On recensait 8000 présages possibles devant la seule observation d’un foie de mouton ! Le christianisme a interdit ces pratiques divinatoires mais certaines se sont maintenues (horoscopes, lignes de la main).
Ce sont les jeux de hasard qui sont à l’origine du calcul des probabilités. L’Italien Cardan, mathématicien, médecin, joueur et voyou, en est le pionnier (1545). Pascal et Fermat inventent l’espérance mathématique et le Suisse Jacques Bernoulli énonce la loi des grands nombres.
C’est ensuite l’astronomie qui suscite les travaux sur les calculs d’erreur, permettant de fixer une valeur probable à partir de mesures imprécises, avec Legendre (1805), Moivre, Laplace, et Gauss. La fameuse courbe en cloche fait son apparition : elle va dominer le monde des probabilités et des statistiques.
Une nouvelle branche théorique s’ouvre au XIXe siècle avec les probabilités conditionnelles calculées par le pasteur britannique Thomas Bayes (probabilité d’un évènement E si un évènement F s’est produit).
Les probabilités pénètrent au cœur de la physique théorique avec l’Autrichien Boltzmann et sa théorie cinétique des gaz, basée sur les calculs statistiques des mouvements de molécules (1870). Il y a une probabilité non nulle que tout l’air d’une salle se concentre soudain dans un coin, asphyxiant les personnes présentes !
« Notre intuition des probabilités est désespérante », se lamente Stewart. Dans un étonnant chapitre « Illusions et paradoxes », il présente des problèmes dont les solutions nous sont contre-intuitives et il explique pourquoi avec beaucoup de pédagogie. Exemple : une famille a deux enfants, dont une fille. Quelle est la probabilité pour qu’il y ait deux filles ? Réponse correcte : 1/3.
L’auteur traite en détail des multiples applications pratiques des probabilités : les procès (probabilités de culpabilité devant une preuve), les modèles économiques, la médecine (essais cliniques), le cerveau (qui fonctionne comme une machine à décider probabiliste), la sociologie (statistiques démographiques, comportements humains), la cryptographie (génération de nombres aléatoires), le contrôle chaotique (missions spatiales).
La météorologie occupe une place à part car elle est à l’origine de la théorie du chaos. En 1973, le météorologue américain Edward Lorenz déclare qu’un battement d’aile de papillon au Brésil peut provoquer une tempête au Texas ! Il a découvert que les résultats des équations de la météo sont extrêmement sensibles aux conditions initiales. De ce fait, bien que les lois qui les guident soient parfaitement connues, leur évolution dans le temps ne peut être prédite au-delà d’une certaine limite. C’est le lot de tous les systèmes chaotiques, dont Poincaré avait d’ailleurs eu l’intuition en 1908. L’horizon prédictif est de quelques jours pour la météo, quelques mois pour les marées et quelques millions d’années pour la position des planètes.
Avec la mécanique quantique, qui traite des particules, on entre dans un monde radicalement différent. Dans tout ce qui précède, l’incertitude n’était due qu’à notre ignorance. Si l’on connaissait avec précision tous les paramètres d’un lancer de dés, on pourrait calculer son résultat. Ici rien de tel : l’incertitude est intrinsèque au phénomène. Une particule quantique est dans une superposition d’états possibles dont la probabilité est donnée par une équation. C’est seulement lorsqu’on « observe » la particule que celle-ci prend un état défini. Einstein ne croyait pas à cette nature aléatoire : « Dieu ne joue pas aux dés », disait-il. Un débat célèbre avec Niels Bohr s’ensuivit. Selon Einstein, la particule est guidée par des variables classiques cachées. En 1964, Bell démontre l’impossibilité de ces variables cachées. Sauf pour les systèmes chaotiques, corrige Tim Palmer en 1995.
Ian Stewart apporte aujourd’hui des arguments pour réhabiliter les variables cachées. Il pense que l’on parviendra un jour à dépouiller la mécanique quantique de sa dimension probabiliste : « Dieu joue certes aux dés. Mais ces dés sont cachés et non aléatoires. Comme les dés réels », annonce-t-il.
Cette prise de position d’Ian Stewart fait l’originalité du livre et lui donne son titre ! L’ouvrage est riche en informations et écrit dans un langage commun. Il nécessite néanmoins une bonne base en mathématiques et physique, et certains raisonnements sont ardus à suivre pour un lecteur non spécialisé.
Evelyne Heyer
(Flammarion, 2020, 388 p. 22,90€)
L’ouvrage nous fait voyager au long de l’histoire de l’humanité et sur tous les continents, à travers l’analyse des gènes, en cinq grandes périodes : les premiers pas (7 millions d’années-50 000 ans), l’esprit de conquête (50 000-10 000), l’Homme dompte la nature (10 000-1000), l’âge de la domination (1000 av-1500 ap), les temps modernes (jusqu’à nos jours et avenir).
Depuis la séparation de la sous-branche des Hominidés au sein de l’ordre des Primates, l’espèce humaine a cheminé et s’est répandue sur tout le globe, de la première à la deuxième sortie d’Afrique il y a environ 70 000 ans. A ce moment, au moins quatre espèces d’humains peuplaient la planète : Néandertal, Denisova, Florès et Sapiens avant que Sapiens reste la seule. Puis intervient, il y a environ 10 000 ans, la révolution du Néolithique qui, avec le développement de l’agriculture et de l’élevage en différents lieux du globe, accroît la diversité génétique des populations et modifie leurs capacités biologiques avec, par exemple, la capacité à digérer le lait chez certaines d’entre elles.
Tous les lieux sont évoqués, depuis la colonisation de l’Australie il y a environ 50 000 ans ou de l’Amérique il y a environ 15 000 ans jusqu’à la rencontre des Pygmées et des Bantous en Afrique centrale, l’expansion des Samanides perses en Asie centrale ou la communauté juive de Boukhara.
L’histoire de l’humanité est une histoire de migrations et de stabilités dans un équilibre variable entre les deux termes. Ainsi, tous les peuples européens puisent leur origine à trois sources, les premiers Paléolithiques européens, les hommes du Néolithique du Moyen-Orient et les populations de l’âge du bronze provenant des steppes.
L’auteur nous fait comprendre comment l’ADN permet d’explorer le passé. Il est possible de lire dans notre code génétique et ainsi de remonter progressivement dans le temps. La reproduction sexuée produit du «neuf» avec du «vieux» grâce à la recombinaison génétique à chaque génération. L’ADN est une sorte de mosaïque des ancêtres passés, même si beaucoup ne nous ont rien transmis au fur et à mesure que l’on remonte dans les générations.
Elle nous fait également toucher du doigt le travail du chercheur en anthropologie génétique, y compris dans ses modalités les plus concrètes, au contact des populations les plus diverses (et des autorités locales…), au Kazakhstan, au Kirghizistan, en Mongolie, dans l’Altaï, l’Asie centrale étant la région de prédilection de ses recherches, en relation étroite avec les travaux conduits en ethnologie et en linguistique.
Ecrit dans une langue très claire, l’ouvrage se lit avec beaucoup de facilité, même si l’articulation entre la dimension historique et la dimension génétique n’est pas toujours évidente pour le profane.
Mark Miodownik
(EPFL Press, 2020, 304 p. 20,85€)
Un livre surprenant, à la frontière entre beaucoup de genres. Livre de physique, d’histoire, de philosophie ? Tout ça à la fois ! L’auteur est un physicien britannique, spécialiste des matériaux, qui ne craint pas de s’écarter de son cœur de métier pour se poser des questions sur l’origine des objets qu’il côtoie.
L’auteur se place un peu à la manière des enfants qui posent les questions comme elles leur viennent à l’esprit, ce qui peut être passionnant ou agaçant (passionnant quand on sait répondre, agaçant quand on ne sait pas).
C’est donc un livre de physique qui explique de manière assez détaillée comment fonctionnent le verre, les métaux, le diamant comparé au graphite… Mais à la différence des livres de physique contemporains, il contient très peu de schémas et évidemment aucune équation.
Un livre d’histoire alors ? De fait, on apprend des tas d’anecdotes sur l’invention des matériaux. Cela provoque un profond respect pour nos ancêtres de Cro-Magnon et autres, dont le sens aigu de l’observation a donné les poteries d’argile, les métaux, les alliages et tant d’autres. On apprend ainsi que les Egyptiens savaient fabriquer du verre mais que les Chinois et les Japonais ont découvert ce matériau quand des Occidentaux les leur ont apportés. Réciproquement, il a fallu un millénaire avant que les Occidentaux sachent produire de la porcelaine.
Sur la forme, le livre s’efforce de varier les effets : lyrique sur le chocolat, à la mode cinéma sur les polymères, surprenant quand il passe sans transition des vertus du papier pour les lettres d’amour, pour la monnaie et le papier toilette, intimiste quand il parle du parcours de sa famille.
Finalement, un livre attachant où chacune ou chacun saura trouver une information nouvelle et une admiration pour nos glorieux prédécesseurs.
Pierre Papon
(CNRS Editions, 2020, 336 p. 25€)
L’ouvrage de Pierre Papon fait un tour d’horizon particulièrement complet, riche et documenté de la situation de la science et de sa place dans le monde d’aujourd’hui.
En trois grandes parties, il présente d’abord ce qu’est la science (Partie I. A la recherche de la «vérité» : les voies et les moyens de la connaissance scientifique) puis quel est son rapport à la société (Partie II. La science dans la société) et enfin quel est son rapport à la démocratie (Partie III. La science, vigie de la démocratie).
La première partie analyse le processus de la recherche de la «vérité», les méthodes et les normes de production du savoir, les valeurs de la science (universalisme, communalisme, désintéressement, scepticisme organisé), les évolutions de la «vérité» (par exemple les vérités «incroyables» de la physique quantique), la place particulière des sciences sociales, les changements apportés par la révolution numérique (une nouvelle science, la science des données).
La deuxième partie analyse la place de la science dans la société. Elle met en lumière l’évolution de la relation entre «République de la science» et Res publica. Elle montre l’institutionnalisation et la professionnalisation progressive de la science, sa relation aux pouvoirs politiques, son intrication croissante avec l’économie marquée par le développement constant des «technosciences» (Gilbert Hottois) et les controverses que cela suscite (Science studies), la spécificité des métiers de la science avec les questions d’intégrité scientifique qu’elle pose, l’invention, l’épanouissement puis la contestation de l’idée de progrès. Quelques exemples (climat, sciences cognitives, énergie, situation sanitaire) montrent la relation complexe entre la science et la décision politique. C’est tout le sujet de l’expertise qui est largement développé (l’expert : le rôle difficile du «troisième homme» entre le chercheur et le politique).
La troisième partie montre que la science ne peut jouer son rôle de «vigie de la démocratie» que si de nombreuses conditions sont réunies. Evidemment, elle est partie prenante dans le débat public sur tous les enjeux de société mais dans un contexte de «déclin de la vérité», de peur de la «république des experts» ou de craintes face au discours de la «singularité technologique».
Il est nécessaire de mieux articuler la relation de la science avec les décideurs et la conduite des politiques publiques, d'avoir une politique de recherche au niveau national comme international, de veiller à la réflexion prospective, de s’intéresser à la science citoyenne et à la place de la culture scientifique.
En conclusion, la réponse à la question posée par le titre est positive à la condition de préparer l’avenir, de s’appuyer sur des expertises transparentes, de développer la communication et la culture scientifique, d’avoir un dialogue permanent entre science et société.
L’ouvrage fait le tour de sujets d’une brûlante actualité en mobilisant les connaissances dans tous les champs disciplinaires et les publications les plus récentes (comme en témoigne la richesse de la bibliographie) dans un texte très dense mais très lisible.
On peut regretter qu’il ne creuse pas davantage le sujet des différentes catégories d’institutions scientifiques et la comparaison entre les différents systèmes mondiaux de recherche, innovation et enseignement supérieur en compétition aujourd’hui.
A l’issue de ce vaste panorama qui fait bien apparaître la complexité de la relation science-techniques-économie-société, dans le monde des technosciences qui est aujourd’hui le nôtre, on ne peut manquer de se poser une question évidente : la science et les technosciences ne sont-elles pas, désormais, les sujets principaux de toute réflexion politique ?
William Bynum
(De Boeck Supérieur, 2020, 352 p. 19,90€)
En quarante chapitres, l’ouvrage dresse le panorama des principaux moments de l’histoire de la science, avec ses découvertes, ses personnages essentiels, ses publications clés depuis l’Antiquité – qui bâtit un modèle (Aristote, Ptolémée, Galien) qui va s’imposer jusqu’à la Renaissance – jusqu’à la physique quantique, l’astrophysique, la biologie moléculaire et l’ère du numérique d’aujourd’hui. Après quelques chapitres initiaux transversaux (l’Antiquité, la Chine et l’Inde, le monde islamique), tous les domaines des sciences exactes sont abordés autour des principales étapes de leur développement. Le corps humain et la médecine depuis Hippocrate jusqu’au Human Genome Project ; l’astronomie depuis Eratosthène et Ptolémée jusqu’à l’astrophysique ; la physique depuis les Grecs jusqu’à la physique quantique ; la chimie et sa relation à la physique et à la biologie ; les sciences du vivant et la biologie ; la paléontologie ; les sciences de la Terre, alternent au long d’une chronologie dont on mesure bien l’accélération au fil des siècles. Ainsi apparaît de manière très complète la grande galerie des savants et des découvertes qui ont marqué l’histoire de toutes les disciplines, la multiplicité des acteurs, les quelques publications essentielles, de Copernic à Newton et à Einstein, de Darwin à Pasteur et Watson et Crick. Au passage est évoquée l’importance des outils qui ont permis les découvertes, télescopes, thermomètres, microscopes… et celle de quelques institutions…. dont la British Association for the Advancement of Science…
Le livre n’aborde pas les sciences humaines et sociales et très peu la relation entre science et techniques, ni les réflexions épistémologiques.
Il met néanmoins en lumière combien chaque scientifique et chaque génération de scientifiques peuvent bénéficier des connaissances de ceux qui vivaient avant eux. « Si j’ai pu voir loin, c’est en me trouvant sur les épaules de géants » (Newton).
Un index assez complet complète l’ouvrage, même s’il faut regretter qu’il mêle noms propres et noms communs.
Le livre, malgré des lourdeurs de style dues à la traduction – d’abord publié en anglais puis traduit en français sur un mode trop littéral – ne comporte aucune difficulté de lecture et s’adresse à tous les publics. Il permet de parcourir de manière aisée l’histoire de la connaissance au fil des grands moments de découvertes et de vie des savants qui les ont portées.