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Les membres de l’Afas publient régulièrement des articles. Ils sont à retrouver ici :

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 
rats et zoonoses

Alors que l’on pensait que le rat brun (Rattus norvegicus) était surtout présent dans les égouts et les berges de nos fleuves ou de certains plans d’eau, les Parisiens ont pu constater une augmentation de leur présence dans les rues et les parcs en particulier du fait de la présence d’une nourriture facilement accessible (poubelles Vigipirate, aires de pique-nique avec des résidus de repas, eau ad libitum, etc.) mais aussi d’une modification de leur environnement (par exemple, une crue de la Seine). Paradoxalement, on peut constater que, face à cet animal considéré comme nuisible, nous avons assisté à un engouement pour cette espèce en tant que nouvel animal de compagnie (NAC), en particulier après le film Ratatouille représentant un rat brun en chef sympathique dans la cuisine d’un grand restaurant ! Mais qu’il s’agisse d’un rat sauvage ou d’un NAC, cette espèce peut transmettre de nombreuses maladies, le risque accru de contact entre l’animal sauvage et l’Homme pouvant varier en fonction de plusieurs facteurs.

En premier lieu, ce risque de zoonose peut être viral. Dans le cas d’une hantavirose, la contamination s’effectue principalement près des nids de rats par inhalation d’aérosols, le virus étant excrété par les urines. Il peut s’agir des virus Puumala, Tula ou Séoul, responsables respectivement d’une néphropathie épidémique, d’une hématurie ou d’une fièvre hémorragique avec syndrome rénal. Les sérotypes 3 et 4 du virus de l’hépatite E sont principalement hébergés par le porc mais ce virus, surtout dangereux chez la femme enceinte (25% de mortalité), peut être aussi présent chez d’autres espèces comme le rat, ou dans l’environnement, notamment près des élevages de porcs. En France, les rats peuvent être porteurs asymptomatiques du virus du cowpox, qui fut utilisé autrefois pour vacciner contre la variole humaine. La contamination humaine s’effectue par la voie cutanée, soit directement, soit indirectement par l’intermédiaire d’un chat. Rappelons aussi l’importation du virus de la variole du singe par des rats de Gambie importés d’Afrique vers les Etats-Unis en 2003 et ayant contaminé 71 jeunes enfants par l’intermédiaire de chiens de prairie (qui sont en fait des rongeurs utilisés comme NAC). Enfin, le rat peut être aussi porteur de l’arénavirus de la chorioméningite lymphocytaire, comme plusieurs rongeurs.

Les zoonoses d’origine bactérienne transmises par le rat seront plus fréquentes. C’est le cas en particulier de la leptospirose, maladie professionnelle qui peut se révéler grave chez les égoutiers ou les agriculteurs travaillant sur des terrains marécageux, mais il s’agit aussi d’une maladie de loisir lors d’une baignade dans une eau contaminée. La bactérie responsable, principalement Leptospira interrogans est présente dans les urines. Elle se transmet surtout par la voie transcutanée ou muqueuse (voie rhinopharyngée lors d’une baignade). Les salmonelloses d’origine animale sont des zoonoses majeures. Si la principale cause de salmonellose chez l’Homme en Europe est la consommation de Salmonella Enteritidis dans les œufs crus et les ovoproduits, les rats sont souvent la cause de la contamination des poulaillers ou de l’environnement de l’Homme en zone urbaine. Un autre risque souvent méconnu est la fièvre de la morsure du rat où la bactérie principalement responsable, Streptobacillus moniliformis, est un hôte habituel de la cavité buccale du rat. Cette maladie peut se révéler rapidement mortelle par septicémie en l’absence d’une antibiothérapie précoce. Il a été aussi montré en France que le rat pouvait contaminer, par l’intermédiaire de sa puce Xenopsylla cheopsis, des sans domicile fixe (SDF) avec des bartonelles (Bartonella elizabethae) et ainsi provoquer une rétinite et une endocardite. D’autres bactéries à l’origine d’une infection humaine, le plus souvent des toxi-infections, peuvent être véhiculées par le rat : Staphylococcus aureus méticillinorésistant, Staphylococcus pseudintermedius méticillinorésistant, Escherichia coli O157:H7, Mycobacterium bovis, Streptococcus pneumoniae, Campylobacter spp., Yersinia pseudotuberculosis et Clostridium difficile, sans que l’on connaisse l’importance du rôle joué par le rat dans les maladies humaines. Enfin, signalons que la puce du rat peut encore véhiculer dans certains pays les agents du typhus murin (Rickettsia typhi) et de la peste bubonique (Yersinis pestis).

En France, le rat est aussi impliqué dans des zoonoses parasitaires. Il peut être porteur d’un nématode, la trichine (Trichinella spiralis), qui provoque par ingestion une gastroentérite. Cette ingestion s’effectue par l’intermédiaire de la viande consommée crue ou insuffisamment cuite du porc (ou du cheval) ayant pu ingérer un rat parasité. Comme de nombreuses espèces, le rat peut être aussi réservoir des toxoplasmes (Toxoplasma gondii) et des cryptosporidies (Cryptosporidium spp.). Un autre nématode parasite du foie chez le rat, Capillaria hepatica (anciennement Calodium hepaticum) provoquera une capillariose hépatique. En milieu urbain, la contamination humaine résulte d’un défaut d’hygiène et concerne principalement les enfants pouvant ingérer des œufs de parasites présents dans l’environnement. Par ailleurs, une autre zoonose parasitaire, due à un cestode, Hymenolepis spp., à tropisme intestinal, n’est pas observée en France.

Enfin, comme pour de nombreuses autres espèces animales, le rat peut être porteur d’une teigne (Trichophyton mentagrophytes) sans montrer pour autant une lésion visible. La lésion chez l’Homme est circulaire, prurigineuse et nécessite un traitement antifongique.

En conclusion, l’observation de rats dans un environnement urbain, voire dans des habitations, représente donc une menace en santé publique justifiant de limiter le nombre de ces rongeurs nuisibles. Enfin, il importe de connaître aussi les risques liés au rat en tant que NAC pour de jeunes enfants.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 
Encéphalopathies spongiformes transmissibles animales. Bilan 2016 en Europe

Dans un rapport de novembre 2017, l’Agence de sécurité alimentaire européenne (EFSA) présente les résultats de l’épidémiosurveillance des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST) animales en Europe ainsi que des résultats du typage génétique chez les ovins [1].

Ainsi, en 2016 :

  • 1 352 585 bovins ont été testés dans l'Union européenne (5% de moins qu'en 2015). Si, la pour la première fois, le Royaume-Uni n'a signalé aucun cas d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la France a détecté un cas classique, né après l’interdiction totale des farines animales en 2001, et trois cas atypiques (H). Seule l’Espagne a aussi déclaré un cas atypique (H). Ces cinq cas ont été découverts à l’équarrissage.
  • 286 351 moutons et 110 832 chèvres ont été testés (respectivement 5% et 11% de moins qu'en 2015). La tremblante du mouton a été signalée par 20 États membres (685 cas) et la tremblante caprine par 9 États membres (634 cas). 25 cas de tremblante ovine ont été aussi signalés par l'Islande et la Norvège. La présence de la tremblante chez les petits ruminants reste stable, la tremblante classique (1175 cas) étant signalée plus fréquemment que la tremblante atypique (135 cas). Au total, 97,2% des cas de tremblante classique chez les ovins concernaient des génotypes appartenant au groupe sensible, et un échantillonnage aléatoire a montré que 26,6% des moutons testés possédaient des génotypes du groupe sensible (à l'exclusion de Chypre).
  • Seule la Norvège a signalé cinq cas de maladie du dépérissement chronique (MDC) chez des cervidés : trois chez des rennes sauvages et deux chez des orignaux. Rappelons que c’était la première fois que cette maladie était signalée en Europe. La recherche d’une MDC dans sept Etats membres (2712 cervidés testés, dont 90% en Roumanie) s’est révélée négative.
  • 490 animaux provenant d'autres espèces non ruminantes (principalement des chats) ont été testés dans quatre États membres différents, avec des résultats négatifs.

Ce rapport nous rappelle également les données épidémiologiques correspondant à la période 2001-2016 :

  • Environ 115 millions de bovins ont été testés pour l'ESB dans l'Union européenne, avec une diminution marquée du nombre d'animaux testés suite à des amendements au règlement sur les EST où les tests à l’abattoir ont été diminués (en particulier de 20% en France, en Allemagne et en Pologne). Ainsi, l’âge limite pour les tests à l’abattoir est passé de 30 à 48 mois en 2009, puis à 72 mois en 2011. En 2016, de nombreux pays de l'Union européenne ne testent plus les bovins à l’abattoir (la France teste les bovins nés avant le 1er janvier 2002). Ces tests ont été au contraire augmentés chez les bovins à risque (71% des échantillons testés en 2016). Comme le cas français de 2016, il y a eu 60 cas d’ESB classique nés après l’interdiction renforcée des farines en 2001 (superNAIF) pendant cette période (fig. 1).
  • A partir de 2002, environ 8,8 millions de petits ruminants ont été testés pour la tremblante dans l'Union européenne.
Fig. 1. Distribution géographique des cas d’ESB observés entre 2001 et 2016 : cas d’ESBc (A), cas superNAIFS d’ESBc (B), cas atypiques de type H (C), cas atypiques de type L (D).

Encéphalopathies spongiformes transmissibles animales. Bilan 2016 en Europe

Enfin ce rapport souligne les modalités de l’épidémiosurveillance de la tremblante chez les petits ruminants, notamment pour la recherche d’une éventuelle (et peu probable) souche d’ESB classique (rappelons qu'on n'a découvert cette souche qu’une seule fois chez une chèvre en France, à une période où une contamination par des farines animales était encore possible). Le rapport souligne l’importance du typage signalant la susceptibilité génétique des ovins à la tremblante où les ARR homozygotes sont considérés comme résistants (sauf dans les cas atypiques) [2].

 

Le variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob

 
Rappelons que les cas primaires de variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ) attribués à la consommation de produits bovins sont de 228 (dont 27 en France). A ces cas primaires, il faut ajouter trois cas secondaires d’origine iatrogène (produits sanguins), observés au Royaume-Uni. Enfin rappelons la possibilité d’une seconde vague du fait d’un nouveau cas de vMCJ signalé en 2017 chez un Britannique hétérozygote, alors que tous les cas de vMCJ observés jusqu’alors étaient homozygotes (avec une plus courte durée d’incubation de la maladie).

 

La maladie du dépérissement chronique (MDC)

 
Cette maladie représente surtout un problème chez les cervidés élevés ou sauvages en Amérique du Nord. Elle a été identifiée dans 24 Etats aux Etats-Unis, deux provinces canadiennes, en Corée du Sud et en Norvège. Le risque zoonotique lié à cette affection n’a jamais été démontré formellement mais des mesures de précaution sont recommandées. La propagation de la maladie semble liée à une contamination de l’environnement (comme pour la tremblante du mouton). Récemment, Kramm et al. [3] ont montré que, par des méthodes d’amplification (protein misfolding cyclic amplification ou PMCA), il était possible de détecter le prion dans le sang de cervidés infectés pendant la phase précoce asymptomatique de la maladie. Cette méthode de détection s’est révélée efficace à 100% chez les sujets malades, à 96% chez les chez les sujets asymptomatiques où le prion est présent dans les nœuds lymphatiques et le tissu cérébral, mais seulement à 53% chez les sujets en phase d’infection très précoce où le prion n’est retrouvé que dans les nœuds lymphatiques. Selon les auteurs, ce travail peut permettre d’espérer dans l’avenir un test sanguin permettant de détecter en routine les cervidés atteints de MDC pendant la phase d’incubation.

 

[1] The European Union summary report on surveillance for the presence of transmissible spongiform encephalopathies (TSE) in 2016. EFSA Journal, Volume 15, Issue 11 November 2017 e05069. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.2903/j.efsa.2017.5069/full
[2] Bien avant d’avoir signalé le premier cas « atypique » de tremblante en France (2e cas mondial) chez un mouton ARR/ARR en 2000, nous avons toujours considéré que cet aspect de lutte contre la tremblante par la sélection génétique pouvait être discutable. Sur le terrain, il avait toujours été observé que l’agent de la tremblante s’installait très progressivement dans les élevages après l’introduction d’un mouton infecté en s’adaptant à la nouvelle génétique du troupeau, comme le prouvait l’apparition très tardive de la maladie clinique puis la diminution progressive des périodes d’incubation.
[3] Kramm C et al. Detection of prions in blood of cervids at the asymptomatic stage of chronic wasting disease. www.nature.com/scientificreports (7:17241/DOI:10.1038/s41598-017-17-17090-x)
Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
 

La course aux supercalculateurs

On sait que les ordinateurs ne peuvent manipuler que des 0 et des 1. Avec cela il faut se débrouiller pour faire des calculs. En alignant suffisamment de 0 et de 1, on voit que l’on peut aisément faire des opérations sur des nombres entiers. Mais cela évidemment ne suffit pas pour les besoins habituels où l’on doit utiliser des nombres réels comportant une virgule. Pour pouvoir représenter une grande étendue de ces nombres dans une machine, on les représente en deux parties : l’une contient une valeur entière représentant les chiffres significatifs du nombre (c’est la mantisse) et l’autre, un exposant qui fixe, en fait, la place de la virgule. C’est comme si l’on écrivait, par exemple, le nombre 12,345 sous la forme 12345x10-3. On voit que si l’on fait des opérations sous cette forme, on est souvent amené à changer l’exposant, et tout se passe comme si la virgule changeait de place. C’est pourquoi, en informatique, on dit que ces opérations sont en virgule flottante, et comme elles sont à la base des calculs, on mesure la vitesse de calcul d’un ordinateur par le nombre d’opérations en virgule flottante qu’il peut exécuter par seconde. On désigne cette unité sous le nom de flops (abréviation de l’anglais floating-point operation per second).

Les grands calculateurs atteignent aujourd’hui des vitesses de calcul effarantes qui se mesurent en pétaflops, soit 1015 flops (millions de milliards de flops). La possession de telles machines, pour des raisons scientifiques mais aussi économiques et militaires, est l’objet d’une concurrence acharnée entre les grandes puissances, notamment les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Europe.

Les Etats-Unis ont mené longtemps la course en tête avec, en 2012, Titan (17,6 pétaflops). Ils ont été très vite distancés par la Chine avec, en 2013, le Tianhe-2 (33,9 pétaflops), puis, en 2016, le Sunway TaihuLight (93 pétaflops). La réplique américaine s’est fait un peu attendre, mais devrait leur redonner cette année la tête de file avec le Summit (200 pétaflops). Ce ne sera pas pour longtemps puisque la Chine annonce qu’elle mettra au point en 2020 un calculateur encore plus puissant, pour lequel il faudra abandonner les mesures en pétaflops pour entrer dans le champ des exaflops (soit 1000 pétaflops). En riposte, les Américains promettent d’entrer dans ce champ en 2021, et les Européens visent la même performance. A quand les zettaflops (1000 exaflops) ?

 

Pour en savoir plus : Science, 359 (6376) du 9 février 2018, p. 617.
Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
 
Les pièges de l’expression publique de la science

La revue Science, dans son numéro du 19 janvier 2018, publie, sous le titre « The pitfalls of taking science to the public » [1] (Les pièges de l’expression publique de la science), un article qui peut intéresser les lecteurs de l’AFAS.

Reconnaissant que les quotidiens jouent un rôle fondamental dans l'information du public concernant les résultats de la recherche, il fait la remarque que si les scientifiques sont de plus en plus appelés à s’exprimer dans les médias, ces moyens d’expression ne comportent pas d'examen par les pairs. Ainsi ce sont les éditeurs, et non les auteurs, qui ont souvent le dernier mot sur la façon dont les sujets sont présentés.

Le 22 novembre 2017, le Washington Post a publié un article du biologiste Alex Pyron au titre éloquent : « Nous n’avons pas besoin de sauver les espèces en danger. Une extinction fait partie de l’évolution » [2]. Cet article a été violemment critiqué, aussi bien dans les commentaires du journal que dans les réseaux sociaux. Les auteurs de l’article de Science, Alexander Antonelli et Allison Perrigo, ont alors pris une initiative pour montrer que les vues développées dans cet article ne représentaient pas l’opinion scientifique majoritaire.
Au mois de décembre, le Washington Post a publié cette réponse soutenue par plus de 3000 scientifiques de 88 pays, dont de nombreux scientifiques éminents et lauréats du prix Nobel. Cela a conduit Alex Pyron à poster un texte sur le blog de son laboratoire exprimant des regrets quant à la façon dont ses mots avaient été rédigés et interprétés [3]. En un certain sens, le dossier scientifique a donc été rétabli.

Mais Alexander Antonelli et Allison Perrigo insistent sur le fait que le débat public est une question de calendrier et d'échelle. Leur réponse a été publiée après l’essentiel de la discussion originale, et les commentaires ultérieurs de l'auteur ont été exprimés sur une plate-forme locale, probablement vue par beaucoup moins de personnes que la publication originale. Par conséquent, l'information parvenue aux lecteurs a été fragmentaire et faussée.

Selon ces auteurs, cet événement illustre pourquoi les scientifiques, avant d'aborder les médias, devraient comprendre les différences entre la publication dans les revues scientifiques et la publication dans les médias. En l'absence d'un examen par les pairs, il est essentiel de demander des conseils sur la façon dont le texte sur les concepts scientifiques pourrait être mal interprété par des non-spécialistes. Il est également utile de suggérer des titres, qui sont souvent écrits par des journalistes qui visent à l'exactitude mais risquent de faire des déclarations sensationnelles. Les scientifiques doivent également évaluer le poids des initiatives conjointes face à l'impact de réponses individuelles rapides.

Laissons, pour la conclusion, la parole aux auteurs : « Nous exhortons les scientifiques à continuer de dialoguer avec les médias mais à se méfier des pièges que cela comporte. Qu’ils demandent des conseils à des collègues ou au service de communication de leur organisme, qu’ils demandent sans attendre l'examen et l'approbation de tout texte avant publication, sans, pour cela, compromettre la qualité de leurs contributions. »

 

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 
Présence et infectiosité du prion dans la peau de malades atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob

Il s’agit d’un travail ayant fait l’objet d’une collaboration entre douze équipes de scientifiques chinois et américains dont celles du Dr Wen-Quan Zou (Case Western Reserve University School of Medicine) et du Dr Byron Caughey du NIH (National Institutes of Health). En premier lieu, ils ont démontré que des prions étaient présents dans la peau de 23 malades de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou MCJ (21 atteints de la forme sporadique MCJs et 2 variants ayant été contaminés par le prion bovin vMCJ), par comparaison avec 15 témoins négatifs décédés d’une autre maladie [1]. Puis ils ont inoculé par la voie intracérébrale des extraits cutanés ou cérébraux provenant de 2 malades à 12 souris humanisées. Ces souris ont toutes développé une encéphalopathie spongiforme, démontrant ainsi l’infectiosité du tissu cutané. Cependant, la période d’incubation chez les souris inoculées avec le tissu cutané a été de 400 jours, soit le double de celle observée chez les souris inoculées avec le tissu cérébral.

Dans cette étude, le test utilisé pour détecter le prion dans la peau correspond à une méthode d’amplification extrêmement sensible permettant de détecter des doses très faibles de prions, soit 1000 à 100 000 fois moins que dans le tissu cérébral. Il s’agit du test de conversion Real-Time Quaking-Induced Conversion (RT-QuIC). Ce test a été développé par Byron Caughey et son équipe du NIH dans le but de détecter une très faible quantité de prions dans certains échantillons comme, par exemple, le sang.

Ces résultats soulèvent plusieurs questions concernant les moyens de détection des prions et le risque de transmission de la MCJ par les tissus cutanés.

Tout d’abord, cette découverte permet de penser que la peau pourrait devenir un moyen de diagnostic spécifique non invasif de la MCJ chez le vivant (ou lors d’une autopsie). Actuellement, la biopsie cérébrale est l’unique moyen permettant de détecter les prions dans la MCJ classique (seuls les cas humains de vMCJ liés à l’ESB peuvent aussi permettre par une biopsie amygdalienne de découvrir le prion bovin). C’est pourquoi le diagnostic de confirmation est généralement obtenu après la mort du malade.
Comme le souligne Byron Caughey, l’extrême sensibilité du test qu’il a développé pourrait permettre dans l’avenir de détecter les prions dans le sang, les muqueuses nasales (par écouvillonnage) ou par biopsie cutanée.

Une autre question est celle du risque de transmission des prions lors d’une intervention chirurgicale impliquant le tissu cutané alors que, jusqu’à présent, seules les interventions concernant le système nerveux central et la cornée étaient connues pour ce risque. Il faut noter que les méthodes utilisées par les scientifiques dans cette étude montrent effectivement la possibilité d’une transmission par la peau mais il faut rappeler que la technique utilisée pour la reproduction expérimentale chez l’animal de laboratoire correspond à des conditions extrêmes non rencontrées en pratique courante : la voie intracérébrale est la technique la plus efficace pour reproduire la maladie avec une faible dose de prions ; il s’agissait de souris humanisées, porteuses du prion humain où il n’existait donc pas de barrière d’espèce avec les prions humains inoculés ; le temps d’incubation de 400 jours chez les souris inoculées avec le tissu cutané était le double de celui des souris ayant reçu du tissu cérébral. Les auteurs soulignent d’ailleurs qu’ils n’ont pas apporté la preuve d’une transmission possible dans une situation plus réelle lors d’une intervention chirurgicale impliquant la peau et qu’ils envisagent d’autres études pour confirmer ou non une telle possibilité de transmission des prions.

Interrogé par le Quotidien du médecin le 23 novembre, Byron Caughey indique « qu’il importe de souligner que [ces] résultats ne veulent absolument pas dire que la maladie de Creutzfeldt-Jakob pourrait être contagieuse par simple contact cutané ». Une autre question a concerné le risque lié aux greffes fécales, sachant que les prions peuvent être retrouvés dans le tissu intestinal et que l’on a montré chez plusieurs espèces animales qu’ils pouvaient être excrétés dans les fèces, avec un risque de contamination dans l’environnement par une exposition orale chez les ruminants. A cette question, Byron Caughey a répondu : « Je ne connais aucune donnée indiquant que les greffes fécales proprement dites peuvent transmettre la maladie. Je ne sais pas si cette possibilité est déjà explorée, mais il me semble qu'elle mériterait de l’être. »

En conclusion, cette étude montre la possibilité d’un test de détection extrêmement sensible et non invasif du prion humain dans le tissu cutané (mais pour une maladie incurable !), qui ne peut pas encore être utilisé en pratique courante. Par ailleurs, cette reproduction expérimentale de la maladie chez la souris a été réalisée dans des conditions extrêmes ne permettant pas de démontrer un risque de transmission par la voie cutanée des prions.
 

[1] C Orru et al. Prion seeding activity and infectivity in the skin of sporadic Creutzfeldt-Jakob disease patients. Science Translational Medicine, 22 Nov 2017, vol 9, issue 417, doi/10.1126/scitranslmed.aam7785
Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d'histoire naturelle (Paris)
 
Les Parcs nationaux américains en danger

Dans une décision susceptible de déclencher une bataille judiciaire sans précédent, le président Donald Trump a dangereusement réduit cette semaine les surfaces de deux Parcs nationaux dans l'Utah. Le 4 décembre, il a levé des protections d'environ 85% du Parc national Bears Ears de 610 000 hectares, créé l'an dernier par l'ancien président Barack Obama. Il a réduit environ de moitié le Parc national Grand Staircase-Escalante de 760 000 hectares, créé par l'ancien président Bill Clinton en 1996. Il a déclaré que ces réductions étaient nécessaires parce que les anciens présidents avaient « largement abusé » de leur autorité pour créer ces Parcs, ce qui empêche d’y développer des activités industrielles.

Beaucoup d'archéologues, de paléontologues et de biologistes ont attaqué ces changements, affirmant qu'ils pourraient exposer des sites culturels anciens, des gisements de fossiles et des écosystèmes sensibles aux dommages causés par l'exploitation minière, le pâturage et les activités récréatives.

L'administration Trump réfléchirait à des plans visant à réduire la taille de deux autres Parcs nationaux, et de permettre plus d’activités industrielles dans une demi-douzaine d'autres, y compris plusieurs réserves marines.
 

D’après Science, 8 décembre 2017.
Jean-Pascal Duchemin

Ancien directeur de départements de recherche à Thales (ex-Thomson-CSF)
Membre du bureau des ARE (Anciens de la radio et de l’électricité)
Président du Comité des arts physiques de la Société d’encouragement pour l'industrie nationale

 

© The Franklin Institute

© The Franklin Institute

La classe 2018 des prix de l’Institut Franklin comporte deux Français sur huit lauréats. Ces Awards sont parfois considérés aux Etats-Unis comme équivalents aux prix Nobel car leur attribution est complètement contrôlée par le « système américain ».

Les deux lauréats français sont :

Philippe Horvath

Philippe Horvath
Chercheur à DuPont Nutrition & Health à Dange-Saint-Romain en Nouvelle Aquitaine
Pour avoir découvert le rôle du CRISPR-Cas dans l’édition précise des génomes.

Manijeh Razeghi

Manijeh Razeghi
Pour la réalisation de sources « terahertz » accordables fonctionnant à température ambiante. Ces sources sont basées sur deux lasers semi-conducteurs III-V à cascades quantiques qui battent et dont le mélange produit une onde aux fréquences terahertz.

Manijeh Razeghi a commencé sa carrière dans le domaine des matériaux III-V en effectuant ses premières recherches dans le Laboratoire d’épitaxie en phase vapeur du Laboratoire central de Thomson-CSF à Thomson-CSF (ex Thales), dans les années quatre-vingt. Ce Laboratoire était animé par Jean-Pascal Duchemin. Cette équipe a développé ensemble quelques petites briques technologiques que chacun utilise maintenant sur Internet ou sur son téléphone mobile. Manijeh Razeghi a ensuite émigré aux Etats-Unis où elle anime depuis plus de vingt ans un laboratoire qu’elle a monté à l’université Northwestern. Et c’est ce travail américain qui lui vaut la prestigieuse récompense.

Le parcours de Manijeh Razeghi est très atypique : née en Iran sous l’ère du Chah, elle s’est mariée très tôt et avait trois enfants à vingt ans. Elle est venue à Orsay pour faire une thèse d’Etat. Ne pouvant rentrer en Iran à cause de la révolution islamique qui avait éclaté entretemps, un job lui a été offert à Thomson-CSF.

Manijeh Razeghi n’est jamais retournée en Iran, elle a acquis la nationalité française ; elle est maintenant américano-française.

 

Note de Larry Dubinski, président et CEO de l’Institut Franklin

"Nous sommes heureux d’annoncer les prix 2018 de l’Institut Franklin !

"Ces huit pionniers de la science et de l’ingénierie ont développé des technologies qui se trouvent être décisives pour la construction des réseaux Internet et qui, en même temps, ont lancé la révolution des communications mobiles. Leurs découvertes ont aussi permis les progrès actuels dans l’édition du génome, ils ont rendu possible l’optoélectronique. Leurs travaux nous aident à mieux comprendre notre planète ainsi que la vraie nature de l’Univers. Leurs réalisations créent un futur meilleur pour chacun d’entre nous.

"Depuis 1824, l’Institut Franklin reconnaît l’excellence en science et technologie à travers ses grands prix. Son action retrace l’histoire des grandes découvertes et de l’innovation à travers deux siècles. Les lauréats de la promotion 2018 rejoignent les géants qui vinrent avant eux – incluant Nikola Tesla, Marie et Pierre Curie, Thomas Edison, Albert Einstein, Stephen Hawking, Jane Goodall et Bill Gates… - dans l’histoire, sans pareille, de l’Institut, d’honorer les plus grands esprits de ces 194 années. Célébrer les réalisations hors du commun en science, technologie et industrie tout autour du monde est un important moyen de préserver l’héritage de Benjamin Franklin.

"Nous espérons que vous vous joindrez à nous pour féliciter les lauréats pour leurs remarquables réalisations."

Liste des lauréats 2018

  • Prix Bower pour les réalisations dans le domaine scientifique
    Philippe Horvath (PhD, DuPont Nutrition&Health, Dangé-Saint-Romain, France)
    Pour sa découverte fondamentale du rôle de CRISPR-Cas comme système microbien d’immunité adaptative qui a été développé comme un outil puissant pour l’édition précise de divers génomes.
  • Médaille Benjamin Franklin en chimie
    John Goodenough (PhD, University of Texas at Austin)
    Pour le développement des premières batteries Li-ion rechargeables à cathode Li oxyde de cobalt qui ont révolutionné l’électronique nomade.
  • Médaille Benjamin Franklin en sciences informatique et cognitive
    Vinton Gray Cerf (PhD, Google Inc., Restom, Virginie) et Robert E. Kahn (PhD, Corporation for National Research Initiatives, Restom, Virginie)
    Pour avoir permis Internet en développant les protocoles TCP/IP, un ensemble de procédures qui permettent la communication effective entre des millions d’ordinateurs en réseau.
  • Médaille Benjamin Franklin en science de la Terre et de l'environnement
    Susan Trumbore (PhD, Max Planck Institute for Biogeochemistry, Jena, Allemagne, et University of California, Irvine)
    Pour avoir été précurseur dans l’usage de la mesure du radiocarbone dans les forêts et les sols pour évaluer le flux de carbone échangé entre la biosphère et l’atmosphère, et mieux comprendre le changement futur du climat.
  • Médaille Benjamin Franklin en ingénierie électrique
    Manijeh Razegghi (ScD, Northwestern University, Evanston, Illinois)
    Pour la réalisation de sources terahertz opérant à la température ambiante, utilisant des semi-conducteurs, qui permettent de nouvelles générations d’imageurs, de détecteurs chimiques et biologiques et de systèmes de communication ultra large bandes.
  • Médaille Benjamin Franklin en ingénierie mécanique
    Adrian Bejan (PhD, Duke University, Durham, Caroline du Nord)
    Pour sa contribution interdisciplinaire en thermodynamique et en transfert de chaleur convectif qui ont amélioré les performances des systèmes.
  • Médaille Benjamin Franklin en physique
    Helen Rhoda Quinn (PhD, Standford University, SLAC National Accelerator Laboratory, Californie)
    Pour sa contribution originale à la recherche à long terme d’une théorie unifiée des forces fortes, faibles et électromagnétiques afin de comprendre les interactions entre les particules fondamentales.
(Traduit par J.-P. Duchemin)
Alain Delacroix

Ancien professeur titulaire de la chaire "Chimie industrielle - Génie des procédés" du Conservatoire national des arts et métiers
 

© MNHN

Météorites entre ciel et terre (© MNHN,)

Il est de notoriété publique que les Gaulois avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête. La superbe exposition Météorites, entre ciel et terre du Muséum national d’histoire naturelle à Paris [1], nous montre que c’est en partie vrai. En effet, cinq tonnes de météorites atteignent la terre par an et l'on estime qu’en France, il tombe en moyenne cinq météorites de 1 kg par an.
Bien qu’aucune victime humaine n’ait été constatée, il s’en est fallu parfois de peu. En 1954, la météorite de Sylacauga a traversé le toit d’une maison et a touché violemment la hanche de Mme Ann Elisabeth Hodges, lui provoquant un énorme hématome. En 1992, Mme Michelle Knapp a vu sa Chevrolet Malibu traversée par la météorite de Peekskill, et en 1972, celle de Valera a tué une vache. C’est la seule victime connue à ce jour par une pierre céleste (en faisant abstraction des dinosaures !).

Un météoroïde est un objet qui arrive de l’espace avec une vitesse de l’ordre de 50 000 km/h. Lorsqu’il arrive dans notre atmosphère, son freinage important dû au frottement de l’air produit une vive lumière appelée météore. Si le bolide est suffisamment gros, il arrive sur terre, souvent fragmenté, et devient une météorite.

Les météorites de fer ont été utilisées depuis bien longtemps comme source de fer métallique par les Egyptiens et les Inuits, ces derniers pour fabriquer des harpons et des couteaux. Avant l’invention de la sidérurgie, c’était la seule source de fer.

Des météoroïdes de grande taille ont créé sur terre des cratères, dont certains sont très visibles. Par exemple le Meteor Crater en Arizona, qui a été produit par un bolide de 100 m de diamètre. D’autres, plus petits, ont quand même fait l’actualité. Par exemple en février 2013, un météoroïde d’environ 20 m de diamètre a explosé en générant une onde de choc qui a blessé plus de 1000 personnes dans l’Oural.

La majorité des météorites viennent de la ceinture d’astéroïdes située entre Mars et Jupiter. Ils datent de la poussière d’étoiles à l’origine de la construction des planètes. Certaines, plus rares, proviennent de Mars ou de la Lune.

Il existe plusieurs types de météorites. Certaines ont fondu et leur cœur est constitué de fer métallique plus dense. Celui-ci peut arriver sur terre tel quel, après disparition de sa croûte rocheuse éliminée par les nombreux chocs rencontrés en chemin. D’autres, les chondrites - les plus abondantes - n’ont pas fondu et ressemblent à des pierres bien que leur composition chimique soit très différente des roches terrestres. D’autres encore, plus rares, viennent de Mars ou de la Lune et sont parfaitement identifiées grâce à notre connaissance de la composition des roches lunaires et martiennes.

Les météorites mettent autour d'une dizaine de millions d’années pour arriver jusqu’à nous. Certaines ont mis encore beaucoup plus de temps.

L’exposition Météorites, entre ciel et terre, d’un excellent niveau scientifique, est aussi très pédagogique. On peut y voir de très nombreuses météorites, dont certaines de grande taille, qui proviennent pour la plupart de la très riche collection du Muséum. On peut aussi les toucher et même les soupeser.
Les enfants ont accès à des espaces dont l’activité les passionne. Cette exposition ne tombe pas dans le travers actuel de l’abus d’écrans, et ceux qui sont proposés sont particulièrement spectaculaires.

A l’entrée de l’exposition, un grand écran nous montre le ciel avec le passage de quelques météores [2]. Je ne sais si, dans ce cas, un vœu peut être exaucé, mais celui que j’ai fait de revenir en famille et avec des amis et les petits-enfants a toutes chances de se réaliser !

 

[1] Exposition Météorite, entre ciel et terre, jusqu'au 10 juin 2018.
[2] Au moment où j’écris ces lignes, un météore important vient d’être observé en Alsace. Espérons que le réseau français de repérage FRIPON - qui date de 2016 - avec ses 84 caméras a réussi à trouver le lieu de chute.

Claudine Hermann

Présidente d'honneur de l'association Femmes & Sciences, présidente de l’European Platform of Women Scientists (EPWS)
 

Colloque femmes & Sciences 2017

Le colloque 2017 de l’association Femmes & Sciences s’est tenu le 10 novembre à Montpellier sur le thème "Mentorat, coaching & accompagnement professionnel des femmes scientifiques dans le public et dans le privé".

Le groupe de Montpellier de l’association Femmes & Sciences a une expérience de trois ans dans ce domaine, avec une vingtaine de mentors et plusieurs "promotions" de mentees, doctorantes ou post-doctorantes chimistes ou biologistes.

L’événement a rassemblé 150 personnes. Après une mise en contexte historique et socio-culturelle du mentorat et du coaching, des bilans d’opérations à l’étranger en Suisse, Belgique et aux États-Unis ont été discutés. Le groupe Femmes et Physique de la Société française de physique réalise du mentorat adapté à chaque cas pour des chercheuses et enseignantes-chercheuses en début de carrière. Puis des mentors et mentees de Montpellier ont apporté des témoignages très vivants de ce que cette action leur avait apporté. Des descriptions de coaching dans le secteur privé ont complété le panorama. Enfin des représentantes et représentants de divers grands organismes de recherche publique ont précisé ce qui était déjà fait et prévu en matière d’égalité professionnelle dans leur institution.

Cette journée, fort appréciée par l’assistance, a mis en évidence la très grande demande de mentorat de la part des étudiantes et étudiants, qui souhaitent ainsi mieux trouver leur voie et s’engager dans la vie professionnelle dans les meilleures conditions.

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 
Article du Canard enchaîné du 25 octobre sur la tuberculose bovine : un problème financier mais aucun risque sanitaire

Fausse alerte sur de la viande tuberculeuse dans nos assiettes

Le mercredi 25 octobre dernier, le Canard enchaîné annonçait sur près d’une demi-page que « plus de 8000 vaches diagnostiquées positives à la tuberculose bovine finissent en barquettes dans les rayons des supermarchés ». Ce titre semblait dénoncer une nouvelle affaire sanitaire, d’où une réaction médiatique à cette fausse alerte liée à une méconnaissance des moyens de lutte contre la tuberculose bovine en France. En effet, il y a eu près de 8000 vaches abattues en France en 2014 (soit 190 troupeaux représentant 0,09% du total des troupeaux français) mais la découverte d’un cas de tuberculose dans un troupeau impose l’abattage de tout le troupeau depuis 1999 (sauf cas de dérogation exceptionnelle permettant un abattage partiel avec, ultérieurement, des mesures de surveillance très strictes) puisque la tuberculose est classée dans les maladies animales de catégorie 1, maladies pour lesquelles il existe un système permanent de surveillance et de lutte faisant l’objet d’une subvention par l’Etat. Mais, sur les 3000 tonnes de viande bovine issues de ces abattages de 2014, très peu concernent des vaches infectées. Par exemple dans une étude concernant 67 troupeaux soumis à l’abattage total en 2011, il y avait moins de 3% des 8530 animaux abattus (soit 227) qui ont présenté des lésions suspectes de tuberculose à l’abattoir et 51% de ces troupeaux (soit 34 sur 67) détenaient plus d’un bovin présentant une lésion de tuberculose [1]. Cette même étude souligne aussi que l’inspection sanitaire des carcasses demeure essentielle pour les troupeaux non suspects car, toujours en 2011, 186 bovins issus de 174 troupeaux officiellement indemnes et en provenance de 21 départements ont présenté des lésions suspectes de tuberculose à l’abattoir, le taux de confirmation de ces lésions ayant été de 22,6%. Mais nous n’avons pas, pour ces études, le taux de saisie partielle ou totale des carcasses positives.

Le texte du Canard enchaîné signale que l’inspecteur vétérinaire à l’abattoir « fait détruire les reins et le foie s’ils lui paraissent touchés par le bacille de Koch », alors qu’un encart « à la sauce de Bruxelles » dans ce même article explique pourtant combien l’inspection des ganglions lymphatiques est essentielle dans le cas de la tuberculose bovine pour expliquer la possibilité d’une saisie partielle ou totale permettant d’éviter la commercialisation d’une viande risquant d’être contaminée [2].

Problème du réservoir sauvage

Depuis la mise en place de la prophylaxie contre la tuberculose bovine en 1963, les cas de tuberculose dans le bétail ont diminué rapidement et la France est considérée comme indemne de cette maladie depuis 2011. La découverte d’une centaine de foyers par an dans l’élevage bovin est principalement liée à la persistance de l’infection dans un réservoir sauvage dans certains départements ayant connu une augmentation des cas depuis 2004. Il s’agit de la Côte d’Or, de la Dordogne, de la Camargue et du Sud-Ouest. Le développement de la maladie chez les sangliers, les blaireaux et les cerfs rend l’éradication de la tuberculose plus complexe et a justifié d’un renforcement de la surveillance de la faune sauvage. La situation est, début 2013, globalement stationnaire : on n’enregistre pas de diffusion active de la maladie mais les difficultés subsistent pour l’éradiquer dans les zones infectées, d’où un renforcement du dépistage de l’infection dans la faune sauvage autour des foyers domestiques. Les mesures mises en place par le ministère de l’Agriculture dans le but de limiter les risques de diffusion aux espèces sauvages ont concerné la diminution des densités des populations, l’identification du risque de diffusion hors des zones reconnues infectées, la surveillance au sein des élevages de gibiers, bovins, caprins, ovins et au sein des espèces sauvages sensibles et l’information des risques de contamination aux populations exposées lors de la manipulation des carcasses ou trophées et de la consommation de carcasses infectées. Ainsi le chasseur est devenu un « bien national » dans la lutte contre la tuberculose.

Tuberculose humaine : les cas liés à Mycobacterium bovis sont exceptionnels

Si les contaminations par le lait cru ont pu exister dans les années cinquante lorsque le quart des troupeaux bovins était contaminé, il est difficile de retenir les propos du palmipède signalant que « régulièrement, quelques buveurs de lait cru (non pasteurisé) tombent malade ». Certes, le risque zéro n’existe pas mais il est aussi difficile de considérer que « les cas de transmission de la vache à l’homme… touchent encore une cinquantaine de malchanceux, surtout des éleveurs ou des vétos en contact avec le bétail ». En effet, ce chiffre de cinquante peut résulter d’une extrapolation du taux de 1% des cas de tuberculose humaine liés à Mycobacterium bovis sur les cas observés chaque année, soit un peu moins de 5000. Ainsi, en 2014, 16 cas de tuberculose à M. bovis ont été identifiés par le réseau de surveillance nationale [3]. Parmi ces personnes, seulement 3 étaient nées en France, essentiellement des personnes âgées (54 à 87 ans) et ayant pu être contaminées plus jeunes par du lait non pasteurisé, la maladie survenant beaucoup plus tard du fait d’une immunodépression (comme cela a pu être aussi observé lors de l’apparition du sida). Les autres cas étaient originaires du Maghreb (9 cas), d’Afrique sub-saharienne (1 cas), d’Europe de l’Est (1 cas) et d’Europe du Sud (2 cas). Il est donc difficile d’incriminer une origine autochtone à la majorité des cas de tuberculose humaine dus à M. bovis détectés en France.

Chez l’Homme, la tuberculose-maladie, due principalement à Mycobacterium tuberculosis, avec plus de neuf millions de nouveaux cas par an dans le monde, représente une cause majeure de mortalité sur la planète avec un million et demi de décès en 2014. Plus de 95 % des cas mortels s’observent dans les pays en développement.
En France, l’incidence de la tuberculose-maladie a régulièrement baissé depuis les années soixante. Elle était de 16,5 cas pour 100 000 en 1993 puis est descendue à 7,3 cas pour 100 000 en 2014 [4]. Le nombre de cas de tuberculose maladie déclaré en 2015 était de 4 741, dont 3 422 cas avec une localisation pulmonaire, soit des taux de 7,1 cas pour 100 000 habitants et de 5,1 pour 100 000 pour les formes pulmonaires. Les taux de déclaration de la maladie les plus élevés pour 100 000 personnes concernent trois régions : Mayotte (25,9), la Guyane (18,3) et l’Ile-de-France (14,5). Les populations les plus fréquemment touchées étaient les personnes sans domicile fixe (166,8 pour 100 000) et les personnes incarcérées (91,3 pour 100 000). Il s’agit principalement de cas importés (personnes nées à l’étranger, soit 35,1 pour 100 000). Ainsi, sur les 4 471 cas de tuberculose déclarés en 2015 dont le lieu de naissance était renseigné (soit 94% des cas déclarés), 59% étaient nés à l’étranger : 40% en Afrique subsaharienne, 25% en Afrique du Nord, 16% dans un pays européen (11% dans un pays de l’Union européenne, 5% dans un autre pays d’Europe), 14% en Asie et 5% aux Amériques ou en Océanie [5].

Mais le Canard avait raison en dénonçant un enjeu financier

Pour l’éleveur, la perte d’un troupeau subissant un abattage total est difficile à supporter du point de vue financier et psychologique. De plus, il n’est plus à l’abri d’un risque sanitaire lors du repeuplement, du fait de l’approvisionnement qui a souvent lieu à partir de nombreux élevages différents (tuberculose, paratuberculose, etc.).

Notre palmipède signale que « Au motif que l’éleveur se fait indemniser par l’État pour ses bêtes tuberculeuses abattues, les gros négociants lui imposent des prix au rabais. Les factures que le Canard a collectées montrent que le kilo de carcasses, habituellement payé 3,50 euros, peut tomber à 1,50 euro » alors que « Le prix affiché au rayon des supermarchés, lui, ne bouge pas ».

En conclusion, on ne peut regretter qu’une chose : la réaction des médias retenant une fausse nouvelle (la viande tuberculeuse) en ignorant le plus souvent un fait réel et regrettable spoliant les éleveurs et les consommateurs.

 

[1] Fediaevsky A. et al. La tuberculose bovine en France en 2011, poursuite de la réduction du nombre de foyers. Bulletin épidémiologique, santé animale et alimentation n°54/Spécial MRE - Bilan 2011.
[2] En France, cette inspection sanitaire permet de supprimer le risque de contamination par la viande crue ou mal cuite mais dans les pays à risque, où cette inspection est défaillante, « la consommation de lait non traité ou de viande crue ou mal cuite mériterait une certaine attention » selon l’OIE (http://www.oie.int.)
[4] Perronne C. L’éradication de la tuberculose : progrès et obstacles. Bull. Acad. Natle Méd., 2016, 200, n°6 (séance du 14 juin 2016).
[5] Guthmann JP, Aït Belghiti F, Lévy-Bruhl D. Épidémiologie de la tuberculose en France en 2015. Impact de la suspension de l’obligation vaccinale BCG sur la tuberculose de l’enfant, 2007-2015. Bull Epidémiol Hebd. 2017;(7):116-26. http://invs.santepubliquefrance.fr/beh/2017/7/2017_7_1.html