Vaccins, stratégie vaccinale et surveillance : exemples des vaccins coquelucheux et diphtérique

Nicole Guiso

Institut Pasteur, ex-responsable de l’Unité de recherche « Prévention et thérapies moléculaires des maladies humaines » et ex-directrice des Centres nationaux de référence de la coqueluche et autres bordetelloses et des corynebactéries du complexe diphtheriae
 

La diphtérie et la coqueluche sont deux maladies respiratoires très sévères qui peuvent atteindre l’homme quel que soit son âge. Elles sont parmi les plus anciennes maladies à prévention vaccinale. Après plusieurs décennies d’utilisation des vaccins diphtérique et coquelucheux, quelles sont les conséquences de leur utilisation ?
L’incidence de la diphtérie et de la coqueluche a considérablement diminué depuis l‘introduction de la vaccination. Cependant, si la diphtérie est bien contrôlée, la coqueluche ne l’est toujours pas. De plus, la transmission de ces maladies, leurs agents et les classes d’âge touchées ont évolué depuis l’introduction de la vaccination et une poursuite de la surveillance de ces maladies, que l’on pensait oubliées, doit être poursuivie afin d’adapter régulièrement les stratégies vaccinales.

La vaccination diphtérique

La diphtérie est une maladie très ancienne, déjà connue sous Hippocrate. Elle se présente sous deux formes, respiratoire ou cutanée. La transmission se fait par aérosols ou par le toucher. Les deux types de maladies ont pour agent des bactéries : Corynebacterium diphtheriae et beaucoup plus rarement C. ulcerans, toutes les deux capables de produire la toxine diphtérique quand elles sont infectées elles-mêmes par un phage. Cette toxine a été rapidement identifié et purifiée et un vaccin dit acellulaire a été développé, composé de toxine diphtérique inactivée chimiquement.

Corynebacterium diphteriae sur milieu de Tinsdale

Corynebacterium diphteriae sur milieu de Tinsdale

Avant l’introduction de la vaccination, la maladie était observée dans le monde entier, cycliquement tous les 10-12 ans. Il était rare que les enfants de moins de six mois soient infectés, suggérant que l’immunité maternelle était importante pour leur protection. Cette maladie était rare chez les adultes en raison de leur immunité due aux rappels naturels réguliers par contact avec des personnes infectées. Après l’introduction de la vaccination dans les années quarante, l’incidence de la diphtérie a considérablement diminué et dans les années quatre-vingt est devenue exceptionnelle dans la plupart des pays industrialisés. Cependant, une importante épidémie eut lieu dans les années quatre-vingt dix dans les pays de l’ex-URSS avec 150 000 cas et 5000 décès, principalement chez les adultes. Cette épidémie était essentiellement due à une baisse de l’immunité de la population en raison d’une diminution de la couverture vaccinale et de la disparition des rappels naturels. Cet épisode a ainsi montré qu’une couverture vaccinale élevée était indispensable pour contrôler la maladie chez l’enfant mais aussi chez les adolescents et les adultes.

Grâce à la surveillance de la maladie, ces dernières années deux autres observations ont été faites dans les pays à haute couverture vaccinale : (i) il n’y a plus de cas autochtones dus à C. diphteriae mais on observe des cas importés par des patients non à jour de leur vaccination ; (ii) des infections dues à des C. ulcerans produisant la toxine. Des infections sévères, certaines mortelles, ont été observées en Europe et en Amérique du Nord chez des personnes âgées, insuffisamment immunes, en contact avec des animaux de compagnie comme les chats et les chiens. Ceci indique que les personnes âgées sont insuffisamment vaccinées malgré les recommandations vaccinales.

La vaccination coquelucheuse

La coqueluche est une maladie respiratoire aussi contagieuse que la rougeole et est particulièrement dramatique pour les nourrissons et les personnes à risque, telles les femmes enceintes ou les personnes âgées. C’est une maladie récente, apparue il y a environ 500 ans. Les symptômes cliniques de la coqueluche durent en général 6 à 12 semaines, quelquefois plus longtemps. Ils comportent trois périodes : (i) une période dite catarrhale peu différente d’une infection respiratoire virale et très atypique de 7 à 14 jours, pendant laquelle la personne est très contagieuse ; (ii) la période paroxystique qui dure entre 6 à 8 semaines, sans fièvre, où la toux est le symptôme principal, apparaissant par quintes. La reprise inspiratoire est souvent difficile et suive d’apnée, bradychardie, cyanose, vomissements, côte cassée ; (iii) la phase de convalescence se fait lentement avec une diminution progressive des quintes de toux. Cette maladie est cyclique, encore actuellement, tous les 3 à 5 ans. Les agents de la maladie sont Bordetella pertussis et plus rarement B. parapertussis. Ce sont des bactéries difficiles à isoler et cultiver.

Bordetella pertussis sur milieu de Bordet Gengou

Bordetella pertussis sur milieu de Bordet Gengou

Avant l’introduction de la vaccination, la maladie était considérée comme pédiatrique. Contrairement à C. diphtheriae, les difficultés à cultiver B. pertussis ont empêché d’isoler rapidement une toxine et le premier vaccin qui a été développé a été un vaccin coquelucheux composé de bactéries entières inactivées à la chaleur ou chimiquement (Vaccin Ce). Comme la maladie était considérée comme pédiatrique, seuls les nourrissons ont été vaccinés. Cette vaccination a permis une diminution très importante de la mortalité et de la morbidité dues à la coqueluche. Cependant les vaccins Ce (i) sont très difficiles à produire de façon reproductible et leur efficacité est variable de 35 à 94% ; (ii) induisent une durée de protection courte… tout comme la maladie naturelle. En effet, il a été observé, environ 25 ans après l’introduction de la vaccination, un changement d’une transmission de la maladie d’enfants à enfants à une transmission adolescents-adultes à nouveau-nés non vaccinés, pour qui la maladie peut être mortelle. Cette observation a montré que les adolescents ayant été vaccinés dans l’enfance ou les adultes ayant eu la maladie étant jeunes n’étaient plus immuns en raison de la disparition de rappels naturels, c’est-à-dire de contacts avec des enfants infectés. L’immunité vaccinale, tout comme l’immunité infectieuse, est donc de courte durée, indiquant la nécessité de rappels vaccinaux ; (iii) induisent des effets secondaires, réversibles, les empêchant d’être utilisés pour des rappels vaccinaux !

Après des dizaines d’années de recherche, plusieurs protéines bactériennes impliquées dans la virulence de la bactérie ont été isolées et purifiées. Des vaccins coquelucheux acellulaires constitués de 1 à 5 protéines purifiées et inactivées ont été développés (vaccins Ca pour l’enfant et ca pour l’adolescent et l’adulte car ils contiennent des quantités plus faibles de protéines bactériennes). Ces vaccins induisent moins d’effets secondaires et peuvent être utilisés pour des rappels vaccinaux. Les deux types de vaccins ont montré une efficacité certaine vis-à-vis de la maladie sévère mais induisent une immunité de courte durée (entre 5 à 8 ans), qui serait un peu plus courte après vaccination avec les vaccins Ca.
L’Amérique du Nord et l’Europe n’utilisent plus que ces vaccins Ca et ce depuis la fin des années quatre-vingt dix mais la plupart des autres régions du monde utilisent toujours des vaccins Ce.

En 2012-2013, un cycle important de coqueluche a eu lieu. Les raisons seraient multiples : (i) diagnostic moléculaire de la maladie plus sensible depuis quelques années ; (ii) diminution de la couverture vaccinale dans certaines régions ; (iii) recommandations vaccinales mal suivies ; (iv) différences entre l’immunité induite par les vaccins Ca (ciblant quelques protéines bactériennes) et Ce (ciblant la bactérie entière) ; (v) changement des espèces bactériennes aussi bien B. pertussis que B. parapertussis dans les régions utilisant des vaccins Ca. Ces changements n’impactent pas la virulence de la bactérie, ni sa transmission malheureusement, mais pourraient diminuer légèrement la protection induite par les vaccins. L’ensemble de ces raisons font que la surveillance de la coqueluche doit continuer afin d’adapter les stratégies vaccinales régulièrement.

Conclusions

Les vaccins diphtérique et coquelucheux ont permis une diminution très importante de la mortalité due à la diphtérie et la coqueluche. Cependant, leur surveillance par les autorités de santé publiques nécessite une estimation régulière (i) de la couverture vaccinale de la population ; (ii) de la durée de l’immunité induite par la vaccination ; (iii) de l’évolution de la population bactérienne ciblée par le vaccin en fonction de l’immunité de la population ; (iv) l’évaluation régulière de la stratégie vaccinale choisie en fonction de l’épidémiologie de la maladie. Cette évaluation doit se faire en utilisant des définitions de cas précises et des diagnostics biologiques spécifiques et sensibles, qui sont modifiés en fonction de l’évolution de la technologie. Il est important de prendre en compte aussi les changements au niveau de la population, tel l’augmentation de l’âge de la vie ; au niveau des modes de vie, tels l’alimentation et les déplacements ; au niveau de la transmission de la maladie au sein des populations…

La surveillance des maladies à prévention vaccinale doit donc être poursuivie, même lorsqu’une maladie semble contrôlée, afin d’adapter régulièrement les stratégies vaccinales. Il est important de se rappeler que les vaccins ne sont pas que pour les enfants.

 

Cet article est issu de la conférence du 1er juin 2016 à l’Institut Pasteur.