Science, orgueil et préjugés

François Rothen

(EPFL Press, 2020, 296 p. 18€90)

 
Science, orgueil et préjugés (F. Rothe, EPFL Press)Du réchauffement climatique au professeur Raoult, en passant par l’énergie noire et les OGM, on a l’impression que notre époque connaît une série exceptionnelle de controverses scientifiques. Exceptionnelle, vraiment ? Ce livre vient nous rappeler qu’il n’en est rien : les controverses en tous genres ont émaillé toute l’histoire des sciences.

François Rothen est professeur honoraire de physique à l’université de Lausanne et il signe ici son dixième livre. Sans prétention d’exhaustivité, l’auteur nous présente un certain nombre de controverses, de natures très diverses, sans lien entre elles, chacune apportant son éclairage, explique-t-il, sur le fonctionnement de la science. Evoquons quelques exemples :

La découverte de la planète Neptune est un classique de l’histoire des sciences, de même que la controverse qui l’a suivie. Tout part d’Uranus, la dernière planète découverte (1781), dont l’orbite présente des anomalies mystérieuses. Deux jeunes génies, ne se connaissant pas, le Français Urbain Le Verrier et l’Anglais John Adams, résolvent l’énigme, séparément, au terme de calculs très complexes : les anomalies s’expliqueraient par l’attraction exercée par une planète hypothétique, encore inconnue, dont ils calculent la position dans le ciel. Chacun transmet les détails de sa découverte aux autorités compétentes de son pays et ne reçoit aucune réponse ! Dépité, Le Verrier avise l’Observatoire de Berlin, où l’on découvre immédiatement la planète à l’endroit indiqué (1846). C’est une grande première : Le Verrier est encensé. C’est alors que les Anglais revendiquent l’antériorité des calculs réalisés par Adams… et que démarre la querelle franco-anglaise de la paternité de la découverte de Neptune. Le récit de l’auteur est particulièrement bien renseigné sur la partie anglaise.

La disparition des dinosaures a suscité et suscite encore des débats, à tous les stades de l’enquête, menée par les Américains Luis Alvarez, prix Nobel de physique, et son fils Walter, géologue (années quatre-vingt). Les indices témoignent que la disparition a été rapide (quelques milliers d’années). Les enquêteurs examinent les pièces à conviction, comme cette couche d’argile avec sa forte et surprenante concentration en iridium. Ils procèdent par élimination pour désigner le coupable : une météorite de 10 km de diamètre qui s’est écrasée, il y a 66 millions d’années, au Yucatan (Mexique) et à laquelle, vraisemblablement, l’être humain doit donc son existence ! Au passage, nous apprenons qu’en 563, un tsunami a balayé… le lac Léman !

Un chapitre important est consacré à la théorie de la relativité. Malgré son grand succès médiatique dès 1919, elle eut son lot d’opposants : des philosophes (Bergson), idéologues, antisémites ou scientifiques : elle est qualifiée de «métaphysique» et d’«incompréhensible» dans l’enseignement universitaire. Aucun prix Nobel ne l’a récompensée (Einstein a été nobélisé pour l’effet photo-électrique seulement).

F. Rothen présente deux affaires fameuses des années quatre-vingt : la mémoire de l’eau et la fusion froide. La première voit un chercheur français respecté de l’Inserm prétendre bouleverser les fondements de la physique et, incidemment, crédibiliser l’homéopathie. Dans la seconde, deux chercheurs américains annoncent une technique de production d’énergie en abondance à très bon marché. Dans les deux cas, le battage médiatique est énorme, en raison des immenses enjeux économiques. Les sceptiques sont traités de mandarins s’accrochant à l’orthodoxie scientifique. Finalement, dans les deux cas, le soufflé retombe devant l’impossibilité manifeste de reproduire les expériences-clés.

Contrairement à ce que l’on pense parfois, la rotondité de la Terre n’a pas suscité de grandes controverses. Elle fut assez vite acquise, dès Pythagore. Pourtant, en 1838, un certain Rowbotham mesure la courbure le long d’un canal rectiligne de 10 km en Angleterre et en conclut triomphalement… que la Terre est plate ! F. Rothen explique comment il a été victime d’un mirage !

L’auteur aborde d’autres vieilles controverses comme l’influence de la Lune sur les activités humaines. Par ailleurs, il dénonce avec une efficacité convaincante la «théorie ahurissante» du mythe du progrès dans l’évolution, soutenue par le paléontologue Stephen Gould. Enfin, il s’insurge contre le «relativisme cognitif», cher à certains sociologues comme Bruno Latour.

Tout au long de ses exposés, l’auteur est généreux en explications techniques détaillées, qui situent bien le cadre de chaque controverse et constituent un des intérêts du livre. De plus, F. Rothen nous gratifie de nombreuses digressions et anecdotes, qui font le bonheur de l’amateur d’histoire des sciences.

En conclusion, voici un livre instructif et agréable à lire, qui contribue à donner le recul nécessaire à l’analyse avisée des controverses actuelles.