Plus de 2 000 scientifiques au chevet de l’océan

Dominique Leglu

Ancienne directrice éditoriale à Sciences & Avenir – La Recherche



Un grand congrès scientifique va se tenir à Nice du 3 au 6 juin, pour faire le point des connaissances sur celui qui couvre 70% de la planète Terre. Et donner des recommandations aux politiques réunis la semaine suivante, lors de la conférence des Nations-Unies sur l’océan organisée par la France et le Costa Rica.

C’est une grande première avant une réunion des Nations Unies, telle l’UNOC31 à Nice en juin : la tenue d’un congrès majeur, l’Ocean Science Congress (OSC), avec la participation d’environ 2200 scientifiques, qui se déroulera en effet la semaine précédente, du 3 au 6 juin2. De quoi alerter et alerter encore les politiques sur l’état de l’océan. C’est simple « l’océan va mal », comme l’a résumé Maxime de Lisle, coordinateur de l’« International Panel for ocean sustainability » (IPOS, Groupe international pour la durabilité de l’océan), passerelle entre ceux qui accumulent les connaissances et décideurs politiques, à l’occasion d’une présentation de l’UNOC3 le 16 mai, pilotée par Olivier Poivre d’Arvor, envoyé spécial du Président de la République pour cette conférence. Ne pas oublier, en la circonstance, que la France possède le deuxième domaine maritime mondial (10,2 millions de km², dont 97% se situe outre-mer), après les États-Unis.

Avant même l’ouverture de l’OSC, les scientifiques multiplient les rencontres, pour faire savoir tous les thèmes qui doivent être abordés en urgence. La tâche est gigantesque.

A quel point le changement climatique affecte-t-il l’océan qui couvre 70% de la planète ? Il se réchauffe, il s’acidifie, les courants marins risquent d’être perturbés, jusqu’à quand pourra-t-il assurer la régulation du climat, par absorption massive du CO2 rejeté dans l’atmosphère… A quel point la biodiversité doit être protégée, notamment avec la véritable instauration d’aires marines protégées. Objectif 30-30, soit 30% des mers à protéger d’ici à 2030 – accord adopté lors de la COP15 sur la biodiversité. Problème, comment assurer le contrôle de ces zones sur une telle immensité, tout particulièrement face à la pêche illégale mais aussi aux navires prédateurs, notamment dans l’océan austral. Y aura-t-il à Nice l’annonce des 60 ratifications nécessaires pour la validation et la mise en œuvre du « traité sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer », dit traité BBNJ (Marine biodiversity of areas beyond national juridiction) ? Pas sûr.

Il faut mieux connaître les ressources génétiques marines et les oasis hydrothermales, mieux comprendre les algues et le plancton, faire le point sur la pollution plastique, pousser à la décarbonation du transport maritime, explorer les abysses. « Elles ne sont pas à vendre, ce sont d’abord des sanctuaires et pas un eldorado » insiste O. Poivre d’Arvor. A noter qu’avant OSC et UNOC, Bruno David, ancien président du Museum national d’histoire naturelle a mené tout spécialement une mission sur ces grands fonds marins où les ressources sont convoitées (manganèse, cobalt, titane, nickel, cuivre…), et pour lequel la France soutient l’interdiction d’exploitation.

Face à l’unicité et à la fragilité de cet océan (tous les océans sont en effet connectés), « nous avons une responsabilité commune », insiste l’anthropologue Frédérique Chlous, directrice du département « Homme et environnement » au Museum national d’histoire naturelle, « mobilisé dans son rôle d’appui scientifique ». Et d’insister sur l’importance pour la compréhension scientifique de « l’interdisciplinarité », allant de la mesure approfondie de l’ADN environnemental à l’éco-acoustique, en passant par l’utilisation maximisée des données satellitaires ou une meilleure connaissance des imaginaires sur l’océan à travers les diverses cultures de notre planète bleue…

Les citoyens sont-ils prêts à supporter l’avalanche de mauvaises nouvelles ? s’interrogent certains. Car « ce ne sont pas de bonnes nouvelles » que nous apportons, rappelait début avril lors d’une conférence de presse Romain Troublé, directeur général de la Fondation Tara. S’il regrette que « les réponses politiques, économiques et sociétales restent cloisonnées et hiérarchisées », dans son livre « Aujourd’hui l’océan. Parcours d’un engagement », avec la collaboration de Sylvie Rouat, sorti début mai3, il continue de miser sur la recherche scientifique : « C’est un instrument précis et objectif qui doit guider nos actions » écrit-il. Et de s’efforcer de « porter haut les voix du monde marin ». Non seulement pour elles mais aussi pour nous, espèce humaine, sachant que l’altération de ce monde marin (notamment par la pollution accrue des microplastiques) a des répercussions sur la santé humaine. One ocean, One health…

Rendez-vous est donc donné en cette mi-juin, où sera notamment précisée la nature d’un « baromètre de l’océan », nouvelle initiative qui doit permettre de faire chaque année le point sur l’évolution de son état. Et ce, en établissant « une curation de faits et de chiffres avec traduction pour les citoyens » explique l’océanographe Marina Levy4, selon qui ce baromètre devra « donner une vision simple de l’interaction entre l’humanité et l’océan ». Le défi, planétaire, est immense.


[1] Du 9 au 3 juin : UNOC3 3ème conférence des Nations Unies sur l’océan, organisée par la France et le Costa Rica, après les deux premières éditions à New York (2017) et à Lisbonne (2022)
[2] Avec plusieurs dizaines de présentations et tables rondes. Le programme est visible ici
[3] Éditions Stock
[4] Autrice avec l’océanographe Laurent Bopp de l’ouvrage « L’océan en 30 questions », sorti le 22 mai aux éditions « La Documentation Française »