One Sustainable Health for All — La science, moteur d’une santé durable et partagée

Ismahane Remonnay, Patrice Debré et Juan Lubroth


La santé humaine n’existe pas isolément. Elle dépend de celle des animaux, des plantes, des sols, de l’eau et de l’air qui nous entourent. Le concept de One Health, désormais élargi à celui de One Sustainable Health, invite à reconnaître cette interdépendance essentielle. Il ne s’agit plus seulement de prévenir les maladies ou de réparer les crises, mais de comprendre les liens profonds entre les écosystèmes (économie, environnement, biodiversité, démographie, urbanisation, société…).

Notre époque est marquée par des bouleversements multiples : dérèglement climatique, perte de biodiversité, surcharge chimique, urbanisation rapide, inégalités croissantes et transformations technologiques sans précédent. Ces transitions s’entrecroisent et redessinent notre rapport au monde. Face à cette complexité, une approche cloisonnée ne suffit plus. Il faut désormais penser en système, relier les savoirs et agir de manière concertée.

C’est dans cet esprit que le Forum One Sustainable Health for All, organisé à Lyon début novembre, a proposé de réaffirmer la place centrale de la science, non pas comme un domaine réservé aux chercheurs, mais comme le moteur d’une transformation partagée.

Que faut-il entendre par une seule santé ?

Trois grandes problématiques de l’environnement pèsent aujourd’hui sur la santé humaine (ainsi que celles des animaux et des plantes) : la pollution et les pesticides, la production des aliments et les systèmes alimentaires, la circulation des microbes. Ces interactions sont de plus bouleversées par le changement climatique.

  1. La pollution physique et chimique à travers les modifications de l’air, de l’eau et des sols induisent des troubles neuro-endocriniens et des pathologies pulmonaires, allergiques et auto-immunes ;
  2. La production et la transformation des aliments en rapport avec l’agronomie retentit sur la nutrition et les pathologies de l’obésité, diabète et métabolisme ;
  3. La circulation des microbes (bactéries, virus et parasites) fait le lit d’un côté des microbiotes indispensables à la vie des organismes, de l’autre, des épidémies émergentes ou re émergentes. Les 2/3 des maladies infectieuses de l’homme proviennent de l’animal (les premières pandémies sont apparues quand l’homme préhistorique s’est mis à domestiquer le cheval, le mouton et le porc)

Le changement climatique retentit de plus sur ces trois séries de facteurs qui sont intriqués et font que le concept de santé et donc de médecine s’ouvre à d’autres sciences (agronomie, écologie etc..). La prise en compte de ces paramètres nécessite de les mesurer et analyser, ce qu’on appelle l’exposome. Elle fait l’objet de plaidoyer et de recommandations auprès des décideurs (le prochain G7 porté par la France traitera du One Health), des communautés et des citoyens, et des services, pour que leur prise en compte conduise à des mesures de prévention pour préserver la santé de l’homme , des animaux et des plantes. Elle conduit à des réflexions régionales et mondiales car ce qui se passe en Amazonie est différent de la vallée du Rhône mais n’est pas sans influence réciproque. La santé devient planétaire et attend de la science qu’elle lui en donne la conscience.

La science comme langage universel

Tout commence et est basé sur la science. Mais cette science doit être comprise comme un langage universel, ouvert — un espace d’échanges, d’expériences et d’apprentissages qui relie les disciplines, les territoires et les acteurs de la société, dans toutes les géographies et toutes les générations. La connaissance ne peut plus rester enfermée dans des publications, des bases de données ou des laboratoires. Elle doit circuler librement, se traduire, se transmettre et s’appliquer. Si la santé durable est pour tous, alors le savoir qui la rend possible doit lui aussi être pour tous. La science appartient à tous, car elle est le point de départ de chaque décision éclairée, de chaque politique publique responsable, de chaque innovation utile. Pourtant, notre système scientifique peine encore à remplir pleinement cette mission collective. La compétition pour les publications et les financements fragmente la recherche. Les savoirs produits restent trop souvent concentrés entre quelques institutions ou verrouillés derrière des barrières d’accès. Et la visibilité médiatique, parfois, prend le pas sur la rigueur ou la coopération.

Il est temps de retrouver le sens de l’humilité scientifique. Reconnaître que la vérité ne se décrète pas depuis les podiums de la notoriété, mais qu’elle se construit dans la diversité des points de vue, la confrontation des idées et la complémentarité des disciplines. Certaines des découvertes les plus prometteuses naissent dans l’ombre : dans des universités régionales, des laboratoires modestes, ou au sein de collectifs interdisciplinaires où chercheurs, économistes, ingénieurs, vétérinaires, agriculteurs, médecins, acteurs de terrain et la société travaillent ensemble, loin des projecteurs.

Faire science aujourd’hui, c’est accepter d’apprendre les uns des autres. C’est considérer la connaissance comme un écosystème vivant où les sciences naturelles dialoguent avec les sciences sociales, où les données croisent les récits, et où la technologie amplifie notre intelligence collective au lieu de la fragmenter.

De la donnée à la décision : la science au cœur de la transformation

La révolution numérique, la réindustrialisation et la montée en puissance de l’intelligence artificielle bouleversent nos manières de produire, de gérer et de comprendre le monde. La donnée devient le nouveau langage de la décision. Mais sans mesure fiable, sans méthodologie scientifique solide et sans gouvernance éthique, cette donnée peut devenir une source d’erreur et de fracture.

La science joue ici un rôle stratégique : elle garantit la qualité de la mesure, la traçabilité de l’information et la crédibilité des choix collectifs. Mesurer, c’est déjà agir. C’est le point de départ de toute transformation industrielle, environnementale et sociale. Chez les acteurs de la transition, la mesure ne se limite plus à un outil technique : elle devient un instrument de gouvernance, un repère pour piloter, évaluer et améliorer.

La digitalisation et l’intelligence artificielle permettent aujourd’hui de relier les observations issues des sciences du vivant, des données environnementales, médicales ou économiques. Mais cette interconnexion pose une question fondamentale : à qui appartient la connaissance? Si la science est le socle des transformations, elle doit rester accessible, lisible et utile à tous. Car partager la donnée, c’est partager la capacité d’agir : c’est une question de souveraineté, de justice et de démocratie du savoir.

Dans un monde où la confiance se reconstruit sur la transparence, la science ouverte ne peut plus être un luxe : elle est une condition de durabilité. C’est grâce à cette transparence que nous pourrons bâtir des politiques fondées sur les faits, des innovations réellement durables et une économie saine et stable fondée sur la confiance.

Prévention, coopération et vision partagée

La santé durable se construit sur la prévention. Prévenir plutôt que réparer : voilà la première transformation à engager. Car il ne faut pas l’oublier, l’être humain est aujourd’hui la première espèce en danger. Lorsque les écosystèmes s’appauvrissent et que les ressources naturelles s’épuisent, ce n’est pas seulement la nature qui souffre : c’est l’humanité qui perd sa base vitale.

Prévenir, c’est d’abord éduquer. L’éducation est le socle de la transformation, car elle change notre manière de regarder le monde. Comprendre que la santé, l’économie, le climat et la société sont indissociables, c’est apprendre à penser globalement tout en agissant localement. C’est aussi reconnaître que la santé économique d’une société conditionne sa santé sociale, environnementale et humaine.

Les travaux du groupe international de travail IWG1 “Environmental Health & Sustainability” insistent sur la nécessité d’une science solidaire et multiscalaire. Il ne s’agit pas de repartir de zéro, mais de relier les initiatives qui existent déjà, souvent de manière isolée. Les programmes de surveillance de l’eau, du sol ou de l’air, les initiatives de réduction de la pollution chimique, ou les projets de restauration des sols et de la biodiversité doivent désormais se parler, se renforcer, se mettre en réseau.

Plutôt que de multiplier les sommets et les publications, il faut donner de la clarté, de la visibilité et une feuille de route commune. Savoir ce qui a été accompli, ce qui est en cours et ce qui reste à faire. Cette approche coordonnée permettra un fléchage plus efficace des financements, une meilleure synergie entre les actions, et une lisibilité accrue pour tous les acteurs. La science, dans cette perspective, redonne confiance : elle relie, éclaire et oriente.

Vers une intelligence collective et préventive de la santé

Pour qu’une véritable One Sustainable Health for All prenne forme, il faut désormais penser en termes d’intelligence collective. Une intelligence qui ne sépare plus les disciplines mais les relie ; qui ne multiplie pas les programmes, mais les aligne dans une stratégie cohérente ; qui ne cherche pas la performance individuelle, mais l’impact collectif.

Cette vision repose sur trois grands principes d’action : la continuité, l’ouverture et la synergie.

D’abord la continuité : agir sur le long terme, dans la durée, en assurant la stabilité et la pérennité des projets. Ensuite l’ouverture : reconnaître que les enjeux de santé, d’environnement et de développement n’ont pas de frontières, et que ce qui se passe dans une région du monde affecte toutes les autres. Tout est lié et seule une approche intégrée permettra de construire un avenir viable.

La transformation sanitaire, sociale, numérique, industrielle, écologique, sanitaire et économique ne se fera pas par la seule réglementation. Elle repose sur une mutation géopolitique et culturelle plus profonde : une nouvelle manière de concevoir la valeur économique, sociale et environnementale, ainsi que la coopération et la responsabilité, au service de la santé pour tous.

Il n’est pas question de multiplier les discours, mais d’unifier les actions. Le véritable défi n’est pas de produire davantage de science dans un nouveau paradigme façonné par l’IA, mais de mieux la relier, de mieux la comprendre, de mieux la traduire et de mieux l’utiliser. Certes, l’IA ouvre un nouveau champ de défis, mais le premier, aujourd’hui, consiste avant tout à mieux valoriser la science déjà produite : en la connectant plus finement, en la comprenant plus profondément, en la traduisant plus clairement… et, surtout, en l’utilisant plus efficacement.

Relier, Comprendre et Agir – OSH for All Lyon 03 Novembre 2025

La construction d’une One Sustainable Health for All n’est ni un idéal abstrait ni un slogan. C’est une trajectoire collective, une façon de remettre la science au cœur de la société et la société au cœur de la science.

La prévention avant la réparation, le partage avant la compétition — sans nier que la compétition, lorsqu’elle est éthique et stimulante, reste un moteur du progrès — et l’humilité avant la certitude toujours partielle, car peut-on jamais avoir de certitude en science ? 

Tels sont les trois piliers d’une transformation authentique. La transformation étant permanente, seule une culture de bon sens, de résilience et d’agilité permet de progresser durablement.

Les chercheurs, les institutions, les entreprises, les décideurs et les citoyens partagent désormais une même responsabilité : transformer la connaissance en action, pour restaurer la santé des biosphères et garantir celle des générations actuelles et futures.

Ce que nous appelons One Sustainable Health for All est bien plus qu’un cadre conceptuel. C’est un projet de société. Un projet où la science devient le langage commun du vivant, où chaque donnée, chaque expérience, chaque collaboration contribue à un tout cohérent.

Le Forum de Lyon est l’un de ces moments charnières : un espace pour passer le relais, partager les expériences, aligner les visions et ouvrir la voie à une coopération mondiale fondée sur la confiance et la lucidité. Une occasion d’affirmer que la science, lorsqu’elle est partagée, humble et vivante, peut redevenir ce qu’elle a toujours été : l’une des plus belles formes d’intelligence collective que l’humanité ait inventée.