Les pièges de l’expression publique de la science

Alain Foucault

Professeur émérite du Muséum national d’histoire naturelle (Paris)
 
Les pièges de l’expression publique de la science

La revue Science, dans son numéro du 19 janvier 2018, publie, sous le titre « The pitfalls of taking science to the public » [1] (Les pièges de l’expression publique de la science), un article qui peut intéresser les lecteurs de l’AFAS.

Reconnaissant que les quotidiens jouent un rôle fondamental dans l’information du public concernant les résultats de la recherche, il fait la remarque que si les scientifiques sont de plus en plus appelés à s’exprimer dans les médias, ces moyens d’expression ne comportent pas d’examen par les pairs. Ainsi ce sont les éditeurs, et non les auteurs, qui ont souvent le dernier mot sur la façon dont les sujets sont présentés.

Le 22 novembre 2017, le Washington Post a publié un article du biologiste Alex Pyron au titre éloquent : « Nous n’avons pas besoin de sauver les espèces en danger. Une extinction fait partie de l’évolution » [2]. Cet article a été violemment critiqué, aussi bien dans les commentaires du journal que dans les réseaux sociaux. Les auteurs de l’article de Science, Alexander Antonelli et Allison Perrigo, ont alors pris une initiative pour montrer que les vues développées dans cet article ne représentaient pas l’opinion scientifique majoritaire.
Au mois de décembre, le Washington Post a publié cette réponse soutenue par plus de 3000 scientifiques de 88 pays, dont de nombreux scientifiques éminents et lauréats du prix Nobel. Cela a conduit Alex Pyron à poster un texte sur le blog de son laboratoire exprimant des regrets quant à la façon dont ses mots avaient été rédigés et interprétés [3]. En un certain sens, le dossier scientifique a donc été rétabli.

Mais Alexander Antonelli et Allison Perrigo insistent sur le fait que le débat public est une question de calendrier et d’échelle. Leur réponse a été publiée après l’essentiel de la discussion originale, et les commentaires ultérieurs de l’auteur ont été exprimés sur une plate-forme locale, probablement vue par beaucoup moins de personnes que la publication originale. Par conséquent, l’information parvenue aux lecteurs a été fragmentaire et faussée.

Selon ces auteurs, cet événement illustre pourquoi les scientifiques, avant d’aborder les médias, devraient comprendre les différences entre la publication dans les revues scientifiques et la publication dans les médias. En l’absence d’un examen par les pairs, il est essentiel de demander des conseils sur la façon dont le texte sur les concepts scientifiques pourrait être mal interprété par des non-spécialistes. Il est également utile de suggérer des titres, qui sont souvent écrits par des journalistes qui visent à l’exactitude mais risquent de faire des déclarations sensationnelles. Les scientifiques doivent également évaluer le poids des initiatives conjointes face à l’impact de réponses individuelles rapides.

Laissons, pour la conclusion, la parole aux auteurs : « Nous exhortons les scientifiques à continuer de dialoguer avec les médias mais à se méfier des pièges que cela comporte. Qu’ils demandent des conseils à des collègues ou au service de communication de leur organisme, qu’ils demandent sans attendre l’examen et l’approbation de tout texte avant publication, sans, pour cela, compromettre la qualité de leurs contributions. »