La vie secrète des molécules

Kathryn Harkup

(Ed. Delachaux et Niestlé, 2025, 224 pages, 21.90€)

Kathryn Karkup, l’auteure britannique de ce petit livre, est chimiste, vulgarisatrice scientifique, vampirologue, passionnée d’Agatha Christie. Elle nous présente de façon assez peu conventionnelle, 52 molécules, qu’elle a choisies pour leur importance, ou l’intérêt de leur histoire.

Une molécule est une association d’atomes tout comme un mot est une combinaison de lettres, et ses propriétés transcendent celles de ses composants. La chimie des molécules est une négociation entre atomes visant à partager, échanger, donner, recevoir leurs électrons.

L’auteure présente chaque molécule en quatre pages (2/3 de texte et 1/3 d’infographies), par ordre de complexité croissante. On démarre avec la toute simple molécule d’ozone, ce « triangle amoureux » formé de trois atomes d’oxygène, qui nous protège des rayons UV. Et l’on termine avec l’ADN, la molécule « la plus réussie de toutes », époustouflant langage unique de tous les organismes vivants. Voici quelques exemples parmi les 52 étapes de ce passionnant parcours.

Le lithium ferro-phosphate : C’est la molécule-clé des batteries modernes dont le principe n’a pas changé depuis leur invention, en 1800. Galvani fait alors des expériences sur les grenouilles et postule que l’électricité est d’origine animale. Ce que Volta trouve absurde, et il le prouve en réalisant, sans grenouille, la première « pile ». Il empile des cellules faites de disques de zinc et d’argent séparés par une feutrine imbibée d’eau salée. Le zinc cède ses électrons et c’est ce qui constitue le courant électrique lorsque les extrémités sont connectées. Il s’agit d’un évènement capital dans l’histoire des sciences qui va permettre l’ usage de l’électricité dans les expériences de chimie et de physique.

L’éthylène : Vers 1810, alors que l’éclairage au gaz arrive dans les villes, on observe des phénomènes bizarres : une poussée de croissance inédite des arbres alentour et des feuilles jaunes en plein été ! Le mystère restera entier pendant un siècle. Le coupable est l’éthylène, un des gaz combustibles, avec sa molécule en nœud papillon. Il s’avère être aussi une hormone végétale, synthétisées par toutes les plantes, qui agit sur les rythmes biologiques. On l’utilise aujourd’hui pour faire mûrir à leur destination les bananes transportées vertes.

La nitroglycérine : « ses atomes profitent de la moindre occasion pour se séparer de leurs voisins et se réarranger dans des configurations plus stables ». Voici une description assez distanciée d’une explosion !

Le glucose : le carburant de base des organismes vivants est la molécule la plus abondante sur Terre. Il est produit par la chlorophylle des végétaux qui capte l’énergie solaire pour combiner eau et dioxyde de carbone en glucose.

Le plomb tétraéthyle. « Voici une leçon sur ce qu’il ne faut pas faire », avertit Kathryn Harkup. A partir de 1920, on l’ajoute à l’essence pour supprimer le cliquetis des moteurs. Les ouvriers qui le manipulent souffrent de vertiges, de pertes de mémoire, et de délires. Ils le surnomment « le gaz zinzin ». Cinq meurent du saturnisme en septembre 1924. Le passage à l’essence sans plomb s’est finalement imposé après beaucoup d’atermoiements. A noter que la teneur en plomb du Châteauneuf du Pape a culminé en 1978, et cette année est aussi un des meilleurs millésimes de cette appellation ! (l’acétate de plomb a très bon goût).

La cellulose : l’eunuque Cai Lun (vers -100) s’inspire de la guêpe faisant son nid. Il rassemble brindilles, écorces, chiffons, fait bouillir, malaxe et obtient une pâte qui, une fois séchée, absorbe l’encre, juste assez pour qu’elle « tienne ». Le papier est né. Quatorze siècles plus tard, il arrivera en Europe et supplantera papyrus, parchemins et vélins.

La géosmine : c’est la molécule de l’odeur de la pluie, En touchant le sol poussiéreux, chaque goutte d’eau emprisonne de l’air entre elle et la terre. Une bulle remonte à travers la goutte, éclate, et libère des aérosols parfumés par la géosmine, synthétisée par les bactéries qui décomposent la matière organique dont il existe 500 espèces, qui incidemment ont fourni 2/3 de nos antibiotiques.

Le rétinal est l’interrupteur qui transmet au cerveau la présence de lumière, selon un mécanisme assez complexe. Il est formé d’une chaine d’atomes carbone et hydrogène. En position « éteint », il est de forme courbe. Lorsqu’un photon le frappe, il se redresse, et actionne une protéine, l’opsine, qui engendre un courant électrique transmis au cerveau par les nerfs.

L’auteure utilise parfois des procédés insolites pour décrire certaines de ses molécules. Ainsi l’octane est un jeune marié, surdoué, doté d’un énorme potentiel de revenus, aux amis puissants, et héros de la bataille d’Angleterre (supériorité des avions alliés). Le parasite du paludisme organise son plan de colonisation de l’humain, combattu par la quinine. On assiste au procès assez comique de l’invité endormi, victime de la molécule du « roupillon après repas ». C’est dans une pièce de théâtre que l’histoire de l’anesthésie est racontée. Le DDT se présente en clone de James Bond. La vie de la reine d‘une ruche est racontée à la manière d’un conte de princesse, et l’histoire de la progestérone comme une recette de cuisine.

Avec son style teinté d’humour, et parfois franchement déjanté, Kathryn Harkup nous fait découvrir de façon amusante des épisodes de l’histoire des sciences, et le fonctionnement intime des molécules, souvent incroyablement ingénieux. Un petit livre très instructif.

Pierre Potier

Une réflexion au sujet de « La vie secrète des molécules »

Les commentaires sont fermés.