La vie ailleurs : espérances et déceptions

James Lequeux, Thérèse Encrenaz

(EDP Sciences, 2022, 152 p. 17€)

 
La vie ailleurs : espérances et déceptions (J. Lequeux, T. Encrenaz, EDP Sciences)Existe-t-il une vie en dehors de notre Terre ? A cette question fascinante, l’homme cherche une réponse depuis plus de deux mille ans et ce livre raconte l’histoire de cette quête. Les deux auteurs, astronomes chevronnés, déroulent le film de cette aventure humaine, depuis les débats philosophiques de l’Antiquité jusqu’à l’exploration spatiale d’aujourd’hui.

Le premier héros de cette saga est le philosophe Anaxagore, qui suggère que la Lune est habitée (ca 450 av. J.-C.). Cette pensée hérétique lui vaut un procès et le bannissement d’Athènes. A sa suite, les philosophes atomistes, Démocrite, Epicure, Lucrèce, défendent tour à tour la pluralité des mondes. Dans le camp opposé, les Pythagoriciens, puis Platon et enfin Aristote, enseignent que seule la Terre est habitée : tout ce qui est au-dessus de la Lune est figé dans la perfection.

Les chrétiens, pour qui la Terre, création de Dieu, est l’unique monde habité, adoptent le modèle d’Aristote. Mais il y a quelques exceptions surprenantes : l’évêque de Paris condamne «ceux qui croient que Dieu ne pourrait pas créer une pluralité de mondes» ! (1277). Le cardinal allemand Nicolas de Cues déclare en 1440 : «Aucune des étoiles, croyons-nous, n’est privée d’habitants», puis cette réflexion extraordinairement lucide et visionnaire : «Partout où il y a un homme, il pense qu’il est au centre de l’Univers». Le dominicain Giordano Bruno défendra des idées similaires mais terminera sur le bûcher (1600). Le dogme est de retour.

Durant la seule année 1610, Galilée découvre des montagnes sur la Lune, des taches dans le Soleil, des phases sur Vénus et des satellites de Jupiter. La perfection du monde supralunaire d’Aristote est soudain mise à mal. Des scientifiques comme Kepler et Huygens pensent que les planètes sont habitées. Le livre de Fontenelle Entretiens sur la pluralité des mondes (1686) est réédité trente-trois fois de son vivant !
Aussi étrange que cela puisse paraître, le Soleil devient, au XVIIIe siècle, un cadre de vie extraterrestre très populaire ! Pour l’astronome William Herschel, par ailleurs découvreur d’Uranus, les habitants du Soleil vivent dans une caverne, protégée du feu externe par une couche d’atmosphère (1795). A cette époque, la structure interne du Soleil était encore totalement inconnue.

Coup de théâtre en 1877 : avec sa nouvelle lunette astronomique, l’Italien Giovanni Schiaparelli observe sur Mars des «canaux», que l’on imagine construits par des êtres intelligents. La communauté scientifique s’emballe, tout comme le marché des lunettes astronomiques ! Mais un groupe de sceptiques parle d’illusion optique. La controverse s’installe et dure un siècle. Les photos de la sonde spatiale Mariner 4 mettent fin aux canaux ainsi qu’au mythe des Martiens (1965).

C’est alors vers les microbes, martiens ou autres, que les scientifiques se tournent ! Les annonces à sensation se succèdent, qui restent aujourd’hui sujettes à controverse : des matières organiques dans une météorite martienne ? Du méthane d’origine biologique sur Mars ? De la phosphine d’origine microbienne sur Vénus ? Les auteurs nous expliquent les techniques d’observation spectrographiques utilisées. Ils montrent la complexité de l’interprétation des résultats, qui exige la prudence, peu compatible avec la pression médiatique ambiante.

Un chapitre est consacré à la panspermie, théorie selon laquelle la semence de vie est éternelle et se transmet de planète en planète. Elle connut de nombreux adeptes, de Lord Kelvin (1871) à Francis Crick (1973). Son point faible : les organismes vivants ne résistent pas aux rayonnements de l’espace. Néanmoins, des molécules «prébiotiques» (possédant tous les éléments de base de la vie) nous proviennent régulièrement de l’espace, et un acide aminé a été détecté dans une comète (2016).

L’exploration de la vie extraterrestre se poursuit aujourd’hui au-delà du Système solaire. On a développé des techniques sophistiquées pour évaluer les paramètres importants de ces exoplanètes : taille, température, atmosphère, présence d’eau liquide. Des dizaines de planètes, candidates prometteuses, ont déjà été identifiées.

Quelle est la probabilité qu’«une vie ailleurs» se soit développée ? Selon les auteurs, «il est impossible de donner une réponse nette». Certes, sur une planète donnée, la vie est peu probable car nécessitant la conjonction de nombreux paramètres précis. Mais il y a des centaines de milliards de planètes dans notre galaxie ! Et il y a cent milliards de galaxies ! Le produit de zéro par l’infini donne… un nombre indéterminé !

Voici un excellent livre de vulgarisation. Les auteurs restent factuels et se concentrent sur l’essentiel. Les 150 pages sont illustrées de figures remarquablement documentées. Le style est clair et abordable pour tout lecteur qu’intéresse cette passionnante énigme de la «vie ailleurs».