Pourquoi un dépeuplement partiel ne peut pas être efficace dans la lutte actuelle contre la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) en France

Jeanne Brugère-Picoux

Jeanne Brugère-Picoux Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France 


Depuis la première apparition de la DNC découverte fin juin 2025 en Savoie, notre Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire (MASA) a dû communiquer pour justifier les mesures d’urgence nécessaires pour éviter la propagation de cette maladie exotique de catégorie A dans le cadre législatif européen, comme c’est le cas de la fièvre aphteuse, également extrêmement contagieuse. L’objectif pour ces maladies est celui d’une éradication immédiate de l’ensemble des animaux au sein du foyer associée à l’instauration d’une zone réglementée (ZR) par arrêté préfectoral (zones de surveillance et de protection dans un rayon de 50 km et 20 km respectivement).

La propagation du capripoxvirus de la DNC se fait soit sur une courte distance (par des insectes hématophages, véritables seringues volantes, et une contamination de l’environnement), soit sur de longues distances par le déplacement d’animaux potentiellement en phase d’incubation ou subclinique. Malheureusement les discours scientifiques du MASA ou des vétérinaires pourtant relayés par les médias pour expliquer les risques de propagation de cette maladie qui était inconnue des éleveurs n’ont pas été compris par certains d’entre-eux. Par exemple, certains syndicats ont su convaincre un jeune éleveur à Cessens de refuser, par un recours administratif, le dépeuplement de son troupeau, l’un des premiers déclarés. Plusieurs manifestants, inconscients des risques encourus, sont venus le soutenir près de ses bovins en phase d’incubation comme le prouvera l’apparition de nouveaux cas cliniques dans son troupeau 13 jours plus tard au moment où le tribunal administratif rejetait sa demande. Ce retard du dépeuplement a vraisemblablement favorisé la multiplication de nouveaux foyers dans les élevages voisins (cf dépêche vétérinaire n°1762 du 30 août).

La possibilité de vacciner dès le 18 juillet en Savoie, grâce à la mobilisation de la profession vétérinaire (dont les retraités et les étudiants) et de nombreux éleveurs, devait nous permettre de prévoir l’arrêt de la propagation du virus en France pour fin août, même si le seul foyer identifié fin juillet dans le beaufortin témoignait que certains éleveurs pouvaient encore ignorer les conséquences du déplacement illicite d’un animal infecté. Malheureusement, alors que toutes les mesures appliquées dans les Savoie ont effectivement démontré leur efficacité fin août, des déplacements regrettables d’animaux infectés ont provoqué la progression du virus dans le département voisin de l’Ain. Un mois plus tard, l’apparition d’un nouveau foyer à St Laurent de Chamousset dans le Rhône à plus de 100 km des derniers foyers ne pouvait que susciter une inquiétude du fait que nous y connaissions l’importance de son marché de veaux vers différents pays européens. Inquiétude justifiée puisque l’on a pu constater l’inconscience de certains intermédiaires qui ont pu encore convoyer des animaux infectés vers des zones indemnes et l’on a identifié par génotypage qu’il s’agissait toujours la même souche dans les cas italiens, français et espagnols [souches Sardaigne (Italie), Savoie, Pyrénées orientales, Espagne) sans que l’on puisse déterminer l’itinéraire des animaux déplacés. Seule l’origine italienne des premiers cas français peut être fortement suspectée. Ainsi le 1er foyer espagnol a été identifié le 4 octobre en Catalogne, voisine des Pyrénées orientales et le 1er foyer du Jura a été notifié le 12 octobre à 100 km du foyer lyonnais… Ceci a justifié de la part du MASA de renforcer les mesures de lutte contre les déplacements d’animaux le 17 octobre, les amendes décidées pour les contrevenants étant peut-être les seules mesures non scientifiques qu’ils pouvaient comprendre.

Au 8 novembre 2025, la vigilance s’impose toujours puisqu’il y a encore trois derniers départements (Pyrénées orientales, Jura et Ain) comportant des ZR sous surveillance. Le contrôle des mouvements des bovins, à l’intérieur et à l’extérieur de ces zones touchées demeure donc une priorité. Les levées successives de la réglementation dans les ZR des Savoie et du Rhône démontrent l’efficacité de la stratégie de lutte qui été mise en place depuis le début de la crise mais confirment que seule une application rigoureuse des mesures contre la DNC permet d’enrayer l’épizootie (Figure 1).


Figure 1 : Zones encore réglementées pour la DNC
(Pyrénées orientales, Jura et Ain)
et levées de la réglementation pour les Savoie (22 octobre) et le Rhône (5 novembre)

Pourquoi les syndicats d’éleveurs demandant encore un « abattage partiel » ont tort

Tout d’abord il ne s’agit pas d’un abattage au sens strict du mot car les animaux sont mis à mort sur le lieu du foyer infecté (et non dans un abattoir) avec nettoyage, désinfection et désinsectisation du site d’élevage et du matériel (dont les véhicules).

Pour justifier leurs revendications, les contestataires ont avancé certains arguments:

  1. Une évaluation de l’EFSA en 2016 évoquant « l’abattage partiel »

Selon l’EFSA, la comparaison entre les dépeuplements total et partiel lors de DNC aboutit « à une probabilité similaire d’éradication de l’infection à la condition que les bovins soient vaccinés ». Le dépeuplement partiel n’était donc pas applicable en France où le virus atteint des bovins dans une zone indemne de la maladie donc non vaccinée. Le dépeuplement total reste donc une méthode privilégiée en urgence pour les foyers très localisés et en l’absence de vaccin comme la réglementation européenne l’impose lors de la première apparition de la DNC dans une région. Cette logique d’éradication rapide présente un impact économique élevé et peut expliquer aussi une opposition des éleveurs. Mais les exemples de ces derniers mois auraient dû permettre une certaine compréhension.

La réclamation actuelle de certains syndicats d’éleveurs pour une vaccination plus étendue à tout le cheptel français n’est pas non plus la solution pour le moment. Tout d’abord il faudrait qu’elle soit justifiée par une évaluation d’un risque éventuel de propagation du capripoxvirus vers une zone non réglementée (comme, par exemple, les vaccinations de précaution décidées en Corse du fait des nombreux cas en Sardaigne). Pour le moment le principal risque d’une propagation virale au-delà des ZR est un déplacement illicite de bovins infectés.

  1. Les dépeuplements totaux devenus partiels lors de la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB)

A la différence de la DNC, on pouvait être tout à fait favorable au dépeuplement partiel d’un troupeau présentant un ou deux cas de « vaches folles » car il s’agissait d’une maladie non contagieuse et d’origine alimentaire. Le dépeuplement total n’avait été décidé que pour des raisons économiques permettant l’exportation d’animaux provenant d’un élevage indemne. L’augmentation des cas d’ESB liés à la mise en place de tests de détection dans les abattoirs ne permettait plus ces abattages coûteux et non justifiés pour la santé publique et il s’ensuivit les dépeuplements partiels limités à la période liée à un risque de contamination alimentaire par des farines de viandes.

En conclusion, il faut espérer que, après quatre mois de lutte contre la DNC en France, les enseignements issus des résultats du terrain sont suffisamment démonstratifs pour que les opposants au dépeuplement total comprennent qu’un « abattage partiel » aurait été une grave erreur dans une ZR en favorisant la progression du virus vers les élevages voisins. Il faut souligner que, s’il n’y avait pas eu de déplacements illicites de bovins à partir de Savoie, la France aurait déjà retrouvé son statut d’indemne de DNC depuis fin octobre … Il faut espérer que cela aura été enfin compris par tous (dont certains syndicats) mais la vigilance s’impose tant qu’il y aura encore des foyers notifiés en France.