Marie-Odile Mergnac
(Éditions Archives&Culture, 2025, 15€)

« Je m’appelle Jean. Je suis né en 1700 à la campagne, où vivent plus de 8 Français sur 10. La maison de mes parents ne compte qu’une pièce, avec un sol en terre battue […] Je m’appelle Marie, comme une fille sur 5 à ma génération. A la naissance, mon espérance de vie est à peine de 20 ans ». C’est dans un ouvrage fascinant titré « Portraits types des Français sur trois siècles », publié par Marie-Odile Mergnac dans la maison d’édition « Archives&Culture » qu’elle a créée1, que l’on découvre comment nos ancêtres (assez récents) ont vécu. Quelle nourriture, quel travail, quelles fêtes, quels déplacements, quelle espérance de vie, combien d’enfants… Les statistiques, c’est bien, leur traduction concrète, c’est mieux ! Si la généalogie est « le troisième loisir favori des Français après jardinage et bricolage », comme le précise l’historienne, il n’est pas sûr en effet que nos compatriotes se représentent avec exactitude le mode de vie de celles et ceux qui peuplent leur arbre généalogique ! Aimeraient-ils y remédier ? L’autrice propose ici… une moyenne de ce que cela devait être à l’époque.
Dès son introduction, elle pose la question : « Qui a retenu, par exemple, qu’en 1900, le logement « moyen » en France était à peine plus d’une pièce alors que les films nous montrent toujours de belles fermes cossues ou des appartements bourgeois ? » Ne comptez pas sur cette passionnée du passé pour nous dorer aujourd’hui la pilule. Non, ce n’était pas mieux avant. Quand l’AFAS a pu la rencontrer (voir notre vidéo), à l’occasion d’un nouveau Forum2, elle n’a pas hésité à rappeler que ce qui l’a frappée, sur trois siècles, « c’est la pauvreté des gens ». Mais pour ceux nés en l’an 2000 (dont on ne connaît pas encore tout le cheminement, malgré les nombreuses études de sociologues), « ils ont tous un bac + 2, alors que ce n’était même pas le cas pour ceux nés en 1980 », indique-t-elle. « On a l’impression que tout le monde autour de nous fait des études supérieures, en fait, non ! C’est seulement la génération des 2000 qui dépasse le bac. »
Nul besoin d’une lecture linéaire pour un tel livre. Chacun ira piocher au gré de ses envies dans les siècles et les générations qui l’intriguent (tous les 30 ans, 20 ans pour les plus récentes), 9 pages à chaque fois. Dont les doubles « coups de cœur », avec photos. On y retrouve « la nourriture du quotidien » de ces gens d’autrefois, « le déjeuner de fête », « les chansons ». Plus récemment « les films » ou « les cuisines du monde ». Jean et Marie nés en 1700 devaient avoir, eux, des repas qui « se ressemblent tous. Le pain bis ou noir reste l’aliment de base, avec près de 2 kg par personne et par jour […]. On le consomme rassis – ‘’le pain dur fait la maison sûre’’, certifie le dicton – en le trempant de bouillon ou de lait pour en faire une soupe ». On apprend ainsi que l’ordinaire s’améliore en 1780, et ce, grâce à « une légumineuse toute nouvelle, originaire du Mexique, le haricot, qualifié d’aliment du pauvre mais très nourrissant ». Tant mieux, car le livre n’oublie pas de mentionner « la dernière famine que la France ait connue, en 1709-1710 ». Hiver rigoureux, jusqu’à « – 23° à Paris […] 800000 personnes décèdent, de froid, de sous-alimentation ou de dysenterie. Des familles entières parties mendier meurent le long des chemins ». Le saut à l’an 2000 semble vertigineux : « Moins de pain (120 g par jour et par habitant), moins de pommes de terre (64 kg par an3) ». En revanche, beaucoup de « sucres rapides (35 kg par an) » et des « boissons sucrées, 50 litres par habitant et par an ».
On ne saurait relever toutes les précisions ou anecdotes qui jaillissent au fil des 125 pages. On aime à découvrir que dans les années 1720, nous dansions « principalement le branle, la courante, la gavotte, le passe-pied, le rigodon, la bourrée… » Qu’en 1790, l’estimation est qu’« il y a encore 20000 loups en France ». En 1870, le vin a « un faible degré « 5° à 8° » et la consommation moyenne est de « 200 litres par habitant et par an ». Elle va chuter pour cause de phylloxera destructeur de vignobles, mais aussi avec « les campagnes contre l’alcoolisme jugé responsable, selon l’État, de la défaite de 1870, des révoltes communardes et de la dénatalité » ! En 1900, la consommation moyenne est alors de « 150 litres par habitant et par an ». Et si on chante en 1920 « Dans la vie, faut pas s’en faire (Maurice Chevalier) », un siècle plus tard, en 2020, on regarde « Lupin » sur Netflix. « Découvrir le quotidien des Français de 1700 à nos jours, de leur travail à leurs loisirs », sous-titre de l’ouvrage, aide, comme le souhaite l’autrice, à ne pas faire une lecture anachronique du passé. Un passé brusquement redevenu vivant.
Dominique Leglu
- Organisatrice depuis 2014 du salon de la généalogie à Paris (Mairie du 15ème) ; prix Chaix d’Est-Ange de l’Académie des sciences morales et politiques pour son Encyclopédie des noms de famille. ↩︎
- Généalogie en Périgord Noir, forum présenté au domaine de la Marterie, Saint-Félix-de-Reillac-et-Mortemart. Parmi de nombreuses conférences, a notamment été précisée la typologie actuelle des recherches (de type « Secrets de famille ») menées dans les Archives Départementales (un ancêtre « enfant abandonné ou placé » ; « ayant eu affaire à la justice » ; perdu de vue pour « faits de guerre » ; « suicides » etc.) ↩︎
- C’est fin XVIIIe que Parmentier s’est efforcé de démontrer ses qualités gustatives (p. 94 du livre) ↩︎

