Dominique Leglu
Ancienne directrice éditoriale à Sciences & Avenir – La Recherche
Une passionnante exposition sur le biomimétisme vient de s’ouvrir au Clos Lucé, où Léonard de Vinci a vécu ses dernières années au début du XVIe. On y découvre les travaux précurseurs du savant toscan sur le vol des oiseaux, la nage des poissons, les turbulences ou les merveilles colorées de la nature… Une nature qui inspire aujourd’hui nombre d’industries, de l’aéronautique à la marine, des drones aux caméras, mais aussi l’industrie des cosmétiques ou des textiles. A voir, tous neurones à l’affût !

À coup sûr, vous aimez les réseaux de gyroïde sans le savoir. Car les nuances bleu-vert du papillon Morpho didius qui fascinent tout un chacun, sont dues à cette structure complexe faite de cristaux microscopiques dans les écailles de ses ailes. A l’exposition « S’inspirer du vivant. De Leonard de Vinci à nos jours » qui vient de s’ouvrir au Clos Lucé1, il est possible d’en avoir une étonnante vision macroscopique. Des modèles en 3D des cristaux agrandis 50 000 fois font découvrir des tunnels entrelacés, sorte de labyrinthes dont les trous en hexagones ou en carrés filtrent la lumière de façon sélective2. Aucun pigment, mais de la photonique… Juste à côté de ces modèles, plusieurs de ces grands lépidoptères du Pérou sont artistiquement disposés, qui permettent au visiteur de jouir des couleurs chatoyantes de leurs structures photoniques méconnues. On comprend pourquoi l’industrie a voulu en imiter les motifs et créer des objets ou produits nouveaux, légers, aux propriétés physiques originales, de quoi bouleverser de multiples domaines, cosmétiques, textiles, aéronautique etc.
L’exposition ne triche pas, ne prétendant pas que Léonard de Vinci a inventé la bio-inspiration, « démarche, loin d’être récente, [qui] trouve ses racines dès la préhistoire », selon ses commissaires Andrea Bernardoni, professeur d’histoire des sciences et des techniques (université de l’Aquila) et Pascal Brioist, professeur d’histoire moderne (université de Tours)3. Mais « nul doute qu’à la Renaissance, le savant toscan fut l’un des observateurs les plus perspicaces de la nature ». Avec une inspiration qui « ne se limitait pas aux végétaux et aux oiseaux, mais s’étendait aux insectes, aux chauves-souris et aux créatures marines », précisent-ils.

Pour les amoureux de Léonard, un précieux cadeau a été prévu : un feuillet du « Codex Atlanticus », tout spécialement venu pour l’exposition de la Veneranda Biblioteca Ambrosiana à Milan, présente les « Études sur le vol mécanique et observations sur le mouvement de l’eau ». C’est le témoignage des recherches qu’il mena « sur la possibilité du vol humain et sur la dynamique naturelle des fluides ». De quoi faire songer à une démarche éminemment scientifique, où sont associées « observation technique, exploration anatomique et spéculation physique », selon les commissaires.
L’affiche pour le grand public de l’exposition ne s’y trompe pas, qui superpose une image d’un avion moderne à celle du membre porteur (des ailes) d’une chauve-souris, dessin choisi parmi ceux dont on se souvient généralement.
Thomas Steinmann, de l’Institut de recherche sur la biologie de l’insecte (IRBI, université de Tours), va plus loin. Il voit en « Léonard de Vinci un précurseur dans la compréhension de la dynamique des fluides, qu’ils soient liquides ou gazeux »4. Et c’est seulement aujourd’hui qu’il est permis, grâce aux « formules mathématiques et aux programmes informatiques, de simuler les mouvements [de ces] fluides, à différentes échelles », écrit-il. Le chercheur ne manque pas, à cette occasion, de rappeler la fascination de Léonard de Vinci pour « la libellule [aux] prouesses aériennes exceptionnelles », qui lui inspira de magnifiques esquisses. Aujourd’hui, précise-t-il par ailleurs, des simulations ont permis de comprendre que la mâchoire des larves de l’insecte est « remarquablement hydrodynamique et génère une zone de tourbillons créant un effet d’aspiration semblable à celui observé chez certains poissons. Cette découverte pourrait être appliquée aux dispositifs de capture de petits véhicules sous-marins autonomes ». Les tourbillons et turbulences, un autre des multiples sujets d’étude de Léonard de Vinci, représentés à la plume, à l’encre, à la sanguine.

Outre ces dessins, qui conservent un côté énigmatique – ne semblent-ils pas interroger la volonté de compréhension du visiteur ? – plusieurs objets qui s’inspirent du vivant retiendront l’attention, pour leur beauté, leur élégance ou leur étrangeté. Ainsi l’ « œil de mouche artificiel, composé de 630 minuscules yeux élémentaires, organisés en 42 colonnes de 15 capteurs chacune », baptisé CurVACE5, à observer derrière une loupe. Ou encore les habitats sous-marins (dessins, maquettes) de l’architecte océanographe Jacques Rougerie, faisant songer ici aux méduses, là aux hippocampes. Envie, enfin, viendra peut-être aux visiteuses de se glisser dans l’une des extraordinaires robes d’Iris Van Herpen, dont les ondulations fluides et les sortes de plumes transparentes sont inspirées par « la complexité des champignons et l’enchevêtrement de la vie souterraine ». Étonnant.
[1] Jusqu’au 10 septembre 2025. Halle muséographique du Château du Clos Lucé – Parc Leonardo da Vinci, Amboise. Rens. : 0247570073 ; www.vinci-closluce.com
[2] Découvert par le physicien Alan Hugh Schoen (Nasa, Southern Illinois university Carbondale) et ainsi nommé par lui, le gyroïde est en termes mathématiques « une surface minimale triplement périodique infiniment connexe ». Voir https://mathworld.wolfram.com
[3] A lire, l’ouvrage « Biomimétisme » (éd. Skira, 29€), auquel ont contribué 13 auteurs (chercheurs, architectes, ingénieur, chirurgien), publié à l’occasion de l’exposition.
[4] « Écrivez sur la nage sous l’eau et vous aurez le vol de l’oiseau dans l’air » (Codex Atlanticus)
[5] Issu des travaux de l’Ecole Polytechnique de Lausanne, Fraunhofer Institut de Jena, Université de Tübingen, CNRS, Université d’Aix-Marseille, Institut des sciences du mouvement Etienne-Jules Marey (université Aix-Marseille)