Le fascinant nombre π

Jean-Paul Delahaye

(Belin, 2018, 384 p. 22€)

 
Le fascinant nombre π (J.-P. Delahaye, Belin, 2018)« Que j’aime à faire apprendre ce nombre utile aux sages »
Ce vers, le premier d’un poème permettant de mémoriser les premières décimales du nombre π, pourrait servir de devise au mathématicien et vulgarisateur Jean-Paul Delahaye. Non content d’avoir consacré un livre entier à ce nombre mythique en 1997, il nous revient aujourd’hui avec une nouvelle édition augmentée, intégrant les derniers développements sur le sujet depuis 20 ans. Car, et c’est un des principaux enseignements de ce livre, les recherches sur π continuent et des progrès substantiels ont même été obtenus récemment.

L’histoire que nous raconte Delahaye commence il y a 4000 ans lorsque π est défini par la géométrie du cercle. Archimède calcule sa valeur par la méthode des polygones, laquelle sera utilisée pendant 18 siècles, sur tous les continents, dans une quête sans fin pour calculer toujours plus de décimales (34 en 1609). Avec l’invention, au XVIIe siècle, des intégrales et des suites infinies, on découvre que π se cache là aussi, émancipé de la géométrie ! Ce qui permet une accélération des calculs de décimales (100 en 1706). On démontre ensuite (1882) que π est transcendant, mettant fin au vieux débat de la quadrature du cercle, mais pas à la passion des chasseurs de décimales.

L’arrivée des ordinateurs donne un nouveau coup d’accélérateur mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser, le travail ne se fait pas tout seul. L’utilisation de nombres gigantesques impose le développement de nouveaux algorithmes qui convergent plus vite. L’auteur consacre plusieurs chapitres à la mise au point récente de ces algorithmes et donne même un programme pour les amateurs. Aujourd’hui, on connaît 22 000 milliards de décimales ! Cela prendrait 660 000 ans à toutes les lire.

A quoi sert donc cette quête ? Fondamentalement, à rien, reconnaît honnêtement l’auteur. La connaissance d’une trentaine de décimales serait largement suffisante pour les besoins des physiciens. Cette chasse aux décimales résulte seulement de l’esprit de compétition : tout comme pour le saut en hauteur ou la course à pied, un record est fait pour être battu ! Mais cette quête génère des développements mathématiques qui trouvent des applications pratiques et utiles (par exemple dans le traitement d’images). Enfin, certains mathématiciens ne désespèrent pas de trouver une singularité statistique dans cette suite sans fin de décimales, ce qui en ferait donc une suite non aléatoire. (C’est la question du jour !)

L’auteur nous décrit moult bizarreries autour de ce nombre et des générations de mathématiciens, chercheurs, génies, illuminés, tous atteints de π-manie, au rang desquels il se compte : « Ne faut-il pas être atteint de π-manie pour passer plusieurs mois de sa vie à écrire un livre sur π ? ».
Citons ici quelques curiosités, parmi des dizaines décrites dans le livre :

  • Dans la suite des décimales, le chiffre 0 n’apparaît qu’au rang 32.
  • On peut mesurer expérimentalement π en lançant des fléchettes sur un parquet (Buffon).
  • La probabilité pour que deux nombres pris au hasard soient premiers entre eux est reliée à π.
  • Une formule trouvée au Canada permet de connaître une « décimale » (base 2) de rang donné, sans connaître les précédentes !
  • Une formule donne π bon jusqu’à 42 milliards de décimales puis diverge !
  • Le record de mémorisation est de 70 030 décimales (17 heures pour les réciter) !
  • S’il est confirmé que la suite des décimales est purement aléatoire, alors nécessairement celle-ci inclut quelque part votre date de naissance, et même, en langage codé, tout Madame Bovary !

Delahaye distingue trois types de lecteurs :

  • Ceux qui sont fâchés avec les maths ne liront que l’en-tête de chacun des 13 chapitres (un maigre total de 4 ou 5 pages).
  • Ceux qui n’ont pas oublié les maths du lycée pourront lire le corps du texte soit… 314 pages ! (ou 100 π), quitte à zapper certaines démonstrations, ou certaines listes de formules, qui peuvent être rébarbatives pour certains.
  • Enfin, ceux qui sont à l’aise avec les maths au-delà du bac liront également les annexes (70 pages) donnant plusieurs démonstrations.

Quel que soit son niveau, le lecteur intéressé par l’histoire des mathématiques, ou par les nombres en général, trouvera dans ce livre une riche mine d’informations et des réponses à beaucoup de questions. Mais pas à toutes ! Un des aspects les plus fascinants de π, très bien rendu dans le livre, est son caractère protéiforme, présent dans de multiples domaines : qu’ont donc en commun tous ces domaines pour qu’un même nombre bien précis, avec ses milliards de décimales, soit au centre de chacun ? A cette question, l’auteur ne répond pas vraiment, du moins sous une forme vulgarisée. π garde une partie de son mystère…